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Depuis 2015 à Thiès, au Sénégal, l'escrime est utilisée comme un outil de réinsertion pour les jeunes détenus, leur offrant une échappatoire précieuse et des valeurs telles que le respect et la discipline. Cette approche, alliant les efforts de l'Association pour le sourire d'un enfant et des experts sénégalais et français, sera bientôt étendue à l'échelle nationale pour lutter contre la délinquance juvénile et améliorer la santé mentale des jeunes.

Croiser le fer pour canaliser sa colère ? À première vue, la formule interpelle. Pourtant, depuis 2015, c'est exactement ce qui se pratique à Thiès, une ville située à 70 km à l'est de Dakar, au Sénégal. Hors des murs de la maison d’arrêt et de correction, où ils passent le reste de leur temps, de jeunes Sénégalais, casque sur la tête et vêtus de l’uniforme matelassé de rigueur, enchaînent fentes, parades et ripostes, sous l’œil vigilant de leur maître d’escrime.

La scène a de quoi surprendre, à seulement quelques mètres de la prison, mais les sourires sur les lèvres de ces enfants et jeunes adultes, une fois le casque ôté, ne trompent pas. Deux fois par semaine, les séances d’escrime leur offrent non seulement une échappatoire provisoire à l’environnement carcéral, mais aussi une manière efficace de canaliser leur énergie, de tempérer leur frustration. Surtout, elles leur permettent de s'initier aux principes fondamentaux de ce sport qui inculque des valeurs essentielles telles que le respect, la discipline, le courage ou encore l'humilité. Qui met aussi en avant le fair-play et l'intégrité, tout en favorisant l'esprit d'équipe et la solidarité.

Une méthode réfléchie et éprouvée

C'est en partant de ce constat que Nelly Robin, présidente de l’Association pour le sourire d'un enfant (APSE) et directrice de recherche à l’IRD (Ciped), ainsi qu’une équipe scientifique française et sénégalaise, en collaboration avec l'administration pénitentiaire du Sénégal, ont commencé à réfléchir à la méthode « Escrime et justice réparatrice », il y a déjà plus de dix ans. 


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« Notre démarche a débuté en 2012, et la mise en œuvre a commencé en 2015, après trois ans de protocole d'observation élaboré par nos collègues psychiatres et psychologues, spécialistes de l'environnement et du sport. De 2015 à 2020, la méthode a été testée et, en 2021, elle a été finalisée sous forme d'un livre de 168 pages », a détaillé la chercheuse lors de la projection à l’AFD du documentaire « XXI, le sport des solutions », le 2 juillet 2024. Présenté à Cannes le 23 mai 2024 et inspiré de l’essai Le Sport des solutions, voyage en terre des possibles de David Blough, publié aux éditions Rue de l’Échiquier, le film se présente comme une plongée inédite dans des initiatives sportives emblématiques ayant eu un impact social significatif et offre, entre autres, une large place à la méthode mise au point par Nelly Robin.

Escrime Sénégal
© Sylvain Cherkaoui / AFD


Le succès de ce projet repose en grande partie sur sa capacité à mobiliser une équipe pluridisciplinaire. Celle-ci inclut l’Association pour la promotion de la santé mentale et Social Change Factory, centre de leadership citoyen, ainsi que des institutions nationales du droit et de la santé, comme la Direction de l’éducation surveillée et de la protection sociale, la Direction de l'administration pénitentiaire, le Centre de formation judiciaire, l’École nationale de l’administration pénitentiaire et la Direction de la santé mentale. Des scientifiques de l’Institut de recherche pour le développement et de l’Institut de santé et de développement-UCAD participent également au projet.

Un bilan impressionnant

Le bilan de cette initiative est impressionnant. « Nous avons vu que les jeunes impliqués dans des actes de violence ou de crime avaient profondément changé », affirme Nelly Robin. Depuis 2015, plus de 600 enfants et adolescents ont été concernés par l’expérience. Leur taux de récidive après avoir manié le fleuret ? 0 %…


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L'État du Sénégal, convaincu par les résultats obtenus par l’équipe de Nelly Robin, a demandé de déployer le programme à l'échelle nationale, en formant les éducateurs spécialisés du ministère de la Justice et les agents pénitentiaires à la méthode « Escrime et justice réparatrice ». En effet, il doit adresser deux problèmes fondamentaux et d’ailleurs corrélés : la persistance d’une très forte délinquance juvénile et le manque de moyens dédiés à la santé mentale des jeunes Sénégalais, aux parcours de vie souvent extrêmement difficiles et éclatés.

L'espoir d'une intégration par le sport

Mais le programme se fixe aussi pour objectif de créer des graines de champion ! Une réinsertion sociale par le (très) haut qui réjouit Nelly Robin. « Nous avons également bon espoir d'intégrer dans l'équipe sénégalaise des jeunes qui auront découvert l’escrime à travers notre méthode. D’ailleurs, nous avons mis à disposition de la Fédération sénégalaise d'escrime le maître d'armes qui coordonne notre formation afin qu’il puisse former des enseignants qui seront eux-mêmes entraîneurs de l'équipe nationale, explique-t-elle. Cette initiative démontre que l’escrime peut être un puissant outil de réhabilitation et de réinsertion sociale pour les jeunes détenus. Elle offre une alternative à la privation de liberté tout en brisant le cycle de la récidive », conclut la chercheuse. La méthode, soutenue financièrement par l’AFD depuis 2022 via son dispositif de subvention aux OSC, a d’ailleurs été double lauréate de la Global Sports Week en 2021.

Pour en savoir plus, regardez le film XXI, le sport des solutions