
Contexte
Les acteurs publics ont besoin de suivre l’état de l’environnement afin d’évaluer l’efficacité de leurs actions, de prioriser des politiques et des mesures de gestion et d’établir ainsi de manière objective leur contribution à la conservation du capital naturel. Ils doivent pour cela pouvoir s’appuyer sur des standards scientifiques leur permettant de définir les seuils à partir desquels les fonctions environnementales peuvent être considérées comme soutenables.
L’ESGAP (Environmental Sustainability Gap) est un outil innovant qui évalue l’état des fonctions environnementales d’un territoire et de leur niveau de soutenabilité. Pour toutes les composantes critiques du capital naturel sur le territoire concerné (qualité de l’air ou des eaux, pollutions, ressources forestières, halieutiques, etc.), cet indicateur calcule l'écart entre leur état actuel et un état qui serait soutenable (c'est-à-dire un état compatible avec un fonctionnement durable des processus nécessaires à la préservation de la vie, des activités humaines et du bien-être). Cela permet de calculer un « écart de soutenabilité environnementale », qui met en lumière le chemin à parcourir pour atteindre le stade de soutenabilité environnementale. Cela peut ensuite servir de guide aux politiques publiques pour estimer et préserver l’état naturel d’un territoire donné.
Dans le cadre du programme de recherche ECOPRONAT, l'AFD souhaite développer des méthodologies de d’évaluation de soutenabilité forte, c’est-à-dire adoptant des critères exigeants concernant la non-substituabilité du capital naturel par d’autres formes de capital (physique entre autre) dans un territoire ou un pays. L’AFD souhaite par ailleurs promouvoir leur utilisation dans les cadres internationaux et contribuer aux normes internationales en cours d’émergence sur le bon état écologique des écosystèmes.
Objectif
Ce projet a visé à tester la pertinence du cadre ESGAP dans les pays en développement où toutes les données sur le capital naturel ne sont pas toujours disponibles. En collaboration avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), l’équipe de Paul Ekins à l'University College London (UCL) a donc appuyé deux pilotes de cet indicateur au Vietnam et au Kenya.
Ces pilotes ont été réalisés par des équipes d’experts implantées toutes deux dans les instituts de recherche nationaux en charge du suivi et du rapportage des données environnementales: l'Autorité nationale de gestion de l'environnement du Kenya (NEMA) et l’Institute of Strategy, Policy on Natural Resources and Environment (ISPONRE) au Vietnam. Ce travail permet de mieux intégrer des principes de soutenabilité environnementale forte dans les évaluations environnementales mondiales.
Ces pilotes cherchaient également à mieux documenter les enjeux de soutenabilité environnementale forte dans la série de rapports « Mesurer les progrès » (Measuring Progress) publiés par le PNUE.
Méthode
Le cadre ESGAP repose sur un tableau de bord renseignant les évolutions de l’état fonctionnel de 23 composantes de l’environnement, en mettant l’accent sur les écarts qui existent entre ces évolutions et les objectifs de maintien ou d’atteinte d’un « bon état écologique ». Ces composantes couvrent les 4 grandes catégories de fonctions environnementales critiques et essentielles : la fourniture de ressources, le retraitement des pollutions, la biodiversité et la santé humaine. Les scores des vingt-trois composantes sont ensuite agrégés pour former un indicateur synthétique et un indicateur de dynamique.
Résultats
Les deux pilotes ont révélé l’absence générale de standards pour le maintien de la biodiversité dans les deux pays, ainsi que des lacunes importantes dans la règlementation sur l’environnement, tant au Kenya qu’au Vietnam. Le manque de point de référence historique pour mesurer le bon état de l’environnement est un frein sérieux à l’établissement de politiques de protection, et empêche le débat sur des narratifs et des trajectoires de développement respectueux du patrimoine naturel.
Par ailleurs, l’analyse montre une situation préoccupante tant au Kenya qu’au Vietnam en ce qui concerne les pollutions des milieux naturels, malgré une disponibilité très limitée des données sur ces questions. Au Kenya, les résultats sont plutôt bons sur les ressources naturelles, mais de nombreuses contributions essentielles et critiques du capital naturel au bien-être et à la santé humaine sont très dégradées, tant pour la qualité de l’eau, de l’air, tout comme l’accès aux aménités naturelles. Au Vietnam, les ressources halieutiques, l’érosion des sols, la pollution de l’air et de l’eau semblent être les dimensions les plus dégradées.
Selon l’ISPONRE et le NEMA, le cadre ESGAP a un grand potentiel comme outil de communication sur l’état d’un territoire et de pilotage des politiques publiques dans les deux pays. Il offre un canevas pour élargir la palette des sujets portés par les politiques publiques et propose un standard de qualité élevé pour la mise en place de cadres d’évaluation de la soutenabilité environnementale.
Ce projet de recherche a également permis d’appuyer un rapport phare du PNUE sur le contenu environnemental des Objectifs de développement durable (ODD), Measuring Progress: Environment and the SDGs, qui intègre les enseignements de ces deux pilotes ESGAP. Cela a permis d’établir que, sur les 231 indicateurs de suivi des ODD, 77 peuvent être rattachés à une thématique environnementale de près ou de loin, mais que seuls 11 d’entre eux permettent réellement de décrire l’état de l’environnement.
Télécharger les publications :
- Environmental Sustainability in Kenya: A Case Study in the ESGAP and SESI (juin 2022, en anglais)
- Environmental Sustainability in Vietnam: A Case Study in the ESGAP and SESI (juin 2022, en anglais)
Enseignements
Les premiers retours indiquent qu’il faut adosser les pilotes ESGAP à de vrais exercices de renforcement de capacités des administrations en charge du suivi environnemental et de la gestion du capital naturel pour espérer améliorer les diagnostics environnementaux dans la durée.
Il faut aussi affiner les concepts de « standards scientifiques » et de « diagnostic de l’état des contributions du capital naturel », qui doivent encore être expliqués et adaptés aux contextes et données disponibles : si, dans l’idéal, ces standards sont issus de cadres internationaux et légitimés au niveau national, souvent, des indicateurs alternatifs doivent être utilisés pour adapter les standards aux différents contextes.
Ces enseignements viennent compléter ceux issus d’un pilote de l’indicateur ESGAP, mené par l’AFD et le WWF en Nouvelle-Calédonie. De plus, à la suite d’un autre appel à projets Ecopronat, deux autres études liées à l'ESGAP sont en cours :
- sur le développement des indicateurs de biodiversité et d’état de santé des écosystèmes naturels et le développement de la méthodologie Esgap en Afrique du Sud et en Colombie ;
- sur l’approfondissement des indicateurs socio-économiques et les relations entre économie et environnement, avec le Vietnam comme cas d’étude.
Contact :
- Oskar Lecuyer, chargé de recherche à l'AFD

Contexte
Densément peuplé et de faible élévation, le littoral du golfe de Guinée est particulièrement exposé à l’érosion et à la hausse du niveau marin. Les zones côtières de cette région expérimentent déjà des taux d’érosion alarmants, avec un recul du trait de côte de 1 à 15 mètres par an, un phénomène principalement dû aux activités humaines qui perturbent les dynamiques sédimentaires. A moyen et long terme, les populations et écosystèmes du littoral sont également exposées aux risques d’inondations accrues ou de submersion en raison de la hausse du niveau marin causée par le changement climatique. Cette hausse du niveau marin pourrait atteindre plus d’un mètre d’ici 2100, menaçant les millions de personnes vivant dans les zones côtières à moins de 2 mètres d’élévation – or ce risque est assez peu étudié dans la région.
Par ailleurs, afin d’évaluer correctement les risques associés à la montée des eaux, il est indispensable de tenir compte des éventuels mouvements du sol lui-même. Lorsque le sol s’enfonce progressivement, on parle de subsidence. C’est un phénomène important à l’échelle mondiale, notamment dans les mégapoles côtières et les deltas : 51 à 70% de la montée des eaux expérimentée actuellement par les populations côtières serait en réalité causée par la subsidence. Les taux de subsidence les plus importants observés à travers le monde, qui peuvent atteindre plusieurs centimètres à dizaines de centimètres par an sont généralement dû à une surexploitation des eaux souterraines. Si le problème est bien identifié dans certaines zones, il reste globalement sous-quantifié, y compris dans le golfe de Guinée.
A lire sur The Conversation : Montée des eaux et affaissement des sols, une double menace pour les régions côtières du golfe de Guinée ?
Objectif
Le programme de recherche ENGULF a pour objectif de mieux évaluer l’exposition des zones côtières du golfe de Guinée à la montée relative du niveau marin, c’est-à-dire la combinaison de la hausse absolue causée par le changement climatique et de la perte d’altitude causée par la subsidence. Il s’agit donc de :
- Quantifier les taux de subsidence actuels, pour l’ensemble du littoral de la Côte d’Ivoire au Nigéria,
- En comprendre les causes afin de pouvoir réaliser des projections pour les prochaines décennies,
- Cartographier les zones les plus exposées.
Ces informations sont cruciales pour anticiper les risques d’inondation ou submersion et mettre en place des politiques publiques adaptées en terme de protection des populations, d’aménagement urbain ou d’exploitation des eaux souterraines.
Méthode
Un premier groupe de travail se consacre à l’évaluation des taux de subsidence actuels pour les grandes villes côtières et deltas du golfe de Guinée, grâce à l’analyse de mesures satellitaires sur plusieurs années. Les résultats permettront de déterminer dans quelle mesure la subsidence est déjà à l’œuvre dans certaines zones et d’établir des projections de montée relative du niveau marin. La combinaison de ces projections avec les données d’altitude permettra une une première cartographie des zones les plus exposées au risque de submersion dans les prochaines décennies.
Un deuxième groupe travaille spécifiquement sur le cas de la ville de Lagos, pour laquelle des analyses plus approfondies seront effectuées afin de comprendre les causes de la subsidence dans cette zone. Un modèle numérique permettant de simuler les processus à l’œuvre sera construit afin de réaliser des projections de la subsidence future selon différents scénarios. L’approche développée pour Lagos sera ensuite étendue à 3 ou 4 autres zones identifiées par le premier groupe de travail comme particulièrement exposées à la montée des eaux, grandes villes côtières ou deltas.
En parallèle, des événements de diffusion et partage des connaissances seront organisés régulièrement tout au long du projet afin de construire une communauté d’intérêt régionale autour de la problématique de la hausse relative du niveau marin.
Résultats
Les principaux résultats attendus sont des publications scientifiques, des bases de données accessibles en ligne et des rapports pour décideurs. Ils permettront d’alimenter les études de faisabilité et les plans d’adaptation face à la montée des eaux. Ils permettront en particulier de mieux anticiper les risques associés à la hausse relative du niveau marin donc de mieux calibrer les mesures de protection, mais également d’anticiper si certaines zones naturelles pourraient, à terme, ne plus pouvoir remplir leur rôle de protection.
La compréhension des causes de la subsidence permettra également d’identifier les leviers d’action publique autour desquels des projets d’investissement devraient se développer pour atténuer le phénomène. Enfin, le programme de recherche ENGULF permettra également d’amorcer et/ou de nourrir des dialogues de politique publique autour de la vulnérabilité côtière, favorisant ainsi l’émergence de projets d’adaptation.
Un premier webinaire, dans la série Conversations de recherche, a été organisé le 22 novembre 2023 pour partager l'état des connaissances sur la montée relative du niveau marin dans le golfe de Guinée. Le replay est disponible en anglais.
L'équipe de recherche ENGULF a ensuite organisé une série de trois webinaires pour présenter les principaux enseignements du projet. Les liens vers les replays (en anglais) sont disponibles ci-dessous.
- Session 1: "Sinking Shores, Rising Concerns: Coastal Land Subsidence and its Implications for the Future of Ghana's Volta Delta" (4 avril 2024). Prof. Kwasi Appeaning Addo et Dr. Selasi Yao Avornyo ont présenté leurs travaux de recherche, menés à l'université du Ghana.
- Session 2: "Insights into Increasing Land Subsidence along Nigeria's Gulf Coast" (2 mai 2024). Dr. Femi Ikuemonisan a présenté son travail de recherche mené à la Lagos State University of Education (LASUED, Nigeria).
- Session 3: "Unraveling Gulf of Guinea's land subsidence dynamics using InSAR post-processing insights". Dr. Roberta Boni a présenté son travail de recherche mené à la Scuola Superiore Studi IUSS de Pavie (Italie).
L'année 2024 s'est terminée avec un séminaire international au Ghana, qui s'est focalisé sur les enjeux liés à la subsidence des terres côtières. La vidéo récapitulative est disponible en cliquant ici.
Télécharger le rapport final (en anglais)
Retrouvez ci-dessous les publications de recherche réalisées dans le cadre d'ENGULF :
- Comment évaluer les risques d'inondation dans les zones côtières de basse altitude où on manque de données ? La précision des données sur l'élévation est déterminante (Editions Agence française de développement, avril 2024)
- A scoping study on coastal vulnerability to relative sea-level rise in the Gulf of Guinea: Coastal elevation and literature review (Editions Agence française de développement, juin 2023)
- A scoping review of the vulnerability of Nigeria's coastland to sea-level rise and the contribution of land subsidence (Editions Agence française de développement, juin 2023)
- Vulnerability of Ghana's coast to relative sea-level rise: A scoping review (Editions Agence française de développement, juin 2023)
- A scoping review of coastal vulnerability, subsidence and sea level rise in Ghana: Assessments, knowledge gaps and management implications (Quaternary Science Advances, octobre 2023)
- The contribution of coastal land subsidence to potential sea-level rise impact in data-sparse settings: The case of Ghana’s Volta delta (Quaternary Science Advances, juin 2024).
Contacts :
- Marie-Noëlle Woillez, chargée de recherche sur les impacts du changement climatique, AFD
- Marine Canesi, chargée de recherche, AFD

Contexte
522 : c’est le nombre de banques publiques de développement recensées à ce jour (Xu et al, 2021) et qui composent la coalition mondiale Finance in Common. Responsables d’environ 10% de l’investissement annuel mondial, ces institutions occupent une place essentielle dans l’architecture financière internationale. Détentrices d’un mandat et d’une responsabilité publique, elles mettent en œuvre des financements dans les secteurs où la rentabilité sociale et/ou environnementale est supérieure à la rentabilité privée, tels que la santé, l’éducation et la lutte contre le dérèglement climatique. Ainsi, elles sont appelées à jouer un rôle déterminant dans l’atteinte de l’Agenda 2030.
Certaines banques publiques de développement (BPD) analysent leur alignement avec les ODD, mais l’emploi de méthodes disparates ne permet pas d’obtenir des résultats fiables et comparables. Dans le même temps, la majorité des BPD publient chaque année un rapport d’activité et de développement durable. Ces documents, accessibles en ligne, sont une mine d’informations aujourd’hui peu exploitée et sur lesquels nous nous appuyons dans notre projet.
Objectif
Ce projet de recherche mené par l’AFD vise à tester le potentiel des technologies d’intelligence artificielle (IA) au bénéfice du développement durable. Il a abouti à la création du Prospecteur ODD, outil qui propose une méthode unifiée et pertinente pour cartographier les engagements extra-financiers des banques publiques de développement. Il permet de quantifier le degré d’importance accordé à chacun des 17 objectifs de développement durable dans la documentation officielle des BPD.
L’analyse a été menée sur une période couvrant cinq années (2016-2020) et 237 institutions. Ainsi, il est possible de dresser un panorama de l’alignement ODD par banque, géographies, tailles de bilan, mandats, niveaux de développement…
A lire : L'intelligence artificielle au service des ODD
Méthode
Afin d’extraire l’information contenue dans les rapports annuels des banques publiques de développement, le Prospecteur ODD applique une méthode d’intelligence artificielle spécialisée dans l’analyse du langage (Natural Language Processing). Cette technique innovante est plus précise qu’une analyse par mots clés, car elle permet à l’outil de reconnaître le contexte des phrases.
Pour cela, le Prospecteur ODD repose sur une base d’apprentissage, qui lui permet d’identifier lorsqu’un texte mentionne les ODD et de déterminer de quel ODD il s’agit. La base d’apprentissage est composée de plus de 8500 textes relatifs à l’Agenda 2030, issus principalement de documents des Nations unies, de rapports gouvernementaux et d’ONG. Spécialisé dans la reconnaissance des ODD, le Prospecteur partitionne chaque rapport annuel en paragraphes d’une dizaine de lignes et détermine s’il y est fait mention d’un, plusieurs ou aucun ODD.
Résultats
Les résultats permettent d’établir une cartographie détaillée du positionnement des BPD par rapport à l'Agenda 2030 et ses 17 ODD :
- Le discours stratégique et opérationnel des BPD est principalement structuré autour des ODD, tels que l’ODD 8 « Travail décent et croissance économique » et l’ODD 9 « Innovation et infrastructure » ;
- L’ODD 13 « Action climatique » est de plus en plus pris en compte par l’ensemble de l’échantillon, et nous constatons une corrélation positive entre la taille du bilan des BPD et leur prise en compte des ODD associés à la protection de l’environnement ;
- La biodiversité constitue une part non négligeable du narratif porté par les BPD ;
- Les ODD sociaux représentent 21 % du narratif des rapports annuels des BPD. Cependant, les ODD transversaux tels que l’égalité des sexes, la réduction des inégalités et l’éradication de la pauvreté représentent une part mineure du discours des BPD ;
- Les BPD semblables en termes de taille, de mandat et de géographie ont tendance à avoir le même discours autour des ODD.
Analyser un document avec le Prospecteur ODD : sdgprospector.org
Enseignements
Les techniques d’intelligence artificielle utilisées permettent de faire émerger des données nouvelles, à la fois pour la recherche et pour la mise en œuvre opérationnelle des ODD. D’autres projets innovants suivis par l’AFD contribuent à cette dynamique, à l’image du Challenge IA-Biodiv.
Lire le papier de recherche (en anglais) : « The proof is in the pudding: revealing the SDGs with artificial intelligence »
Contacts :
- Régis Marodon, conseiller senior « finance durable » à l’AFD
- Jean-Baptiste Jacouton, chargé de recherche à l'AFD