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Almond orchard in Tunisia
La Tunisie envisage de présenter au Fonds vert pour le climat, avec l’appui du groupe AFD et de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture, un projet promouvant une agriculture résiliente au dérèglement climatique et améliorant les revenus des petits agriculteurs. En pleine COP15 contre la désertification organisée à Abidjan du 9 au 20 mai, Issam Anatar, directeur général de l’aménagement et de la conservation des terres agricoles au ministère tunisien de l’Agriculture, détaille ce projet.
En quoi cette région est-elle prioritaire pour le gouvernement tunisien et quels sont les objectifs visés par le projet ?

Issam Anatar : L’adaptation au changement climatique de l’agriculture et de la gestion des ressources en eau est une priorité nationale de la Tunisie afin de garantir sa sécurité alimentaire. Elle constitue à ce titre un axe structurant du Plan national d’adaptation au changement climatique et de la stratégie pour un développement résilient (SNRCC) en cours de préparation. Les études récentes ont montré que le Sud tunisien constitue un « point chaud » du changement climatique dans le pays, sur les plans sociaux, environnementaux et économiques.


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Le projet couvre six gouvernorats vulnérables et représentatifs de l’ensemble des écosystèmes et des systèmes agricoles du Sud tunisien à travers deux oasis (Tozeur et Kébili) et quatre zones arides et semi-arides (Médenine, Tataouine, Gabes et Gafsa). Au sein de ces écosystèmes, les rendements des cultures et les ressources naturelles, déjà limités, sont fortement affectés par les effets néfastes du changement climatique : hausse des températures, diminution des précipitations, augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements climatiques extrêmes ont des impacts directs sur la multiplication des ravageurs et des maladies, la baisse de la disponibilité en eau ou bien l’érosion et la dégradation des sols.

C’est ainsi l’ensemble des écosystèmes qui sont menacés, allant d’une baisse de production à une dégradation forte des services rendus, ce qui impacte directement la sécurité alimentaire et les conditions de vie de nombreux ménages agricoles. Avec pour conséquence une amplification de l’exode rural et des phénomènes migratoires dans des régions déjà fragilisées sur le plan socio-économique.

Pour que l’agriculture reste viable et ne soit pas abandonnée par la population, il faut un véritable changement de paradigme dans la manière de concevoir et mettre en œuvre les politiques agricoles et rurales dans ces régions. Le projet vise donc l’amélioration de la résilience et des moyens de subsistance des communautés les plus vulnérables grâce à la promotion d’une agriculture de terroir, compatible avec le changement climatique et protectrice des grands équilibres écologiques : agroécologie, gestion des ressources en eau et en sol, amélioration de la productivité des écosystèmes ou encore diversification des revenus.

Quelle place les solutions d’adaptation fondées sur la nature occupent-elles dans ce projet ?

I. A. : La communauté internationale s’accorde à dire qu’aborder séparément crise de la biodiversité et crise climatique conduirait à une impasse. Bon nombre de solutions se trouvent déjà dans la nature, d’où l’importance des Solutions d’adaptation fondées sur la nature (SAFN) qui sont au cœur de l’approche du projet. Celui-ci prévoit ainsi de valoriser les biens et les services que fournissent les écosystèmes du Sud tunisien afin de faire face aux problèmes majeurs engendrés par le changement climatique.

Les écosystèmes pastoraux, par exemple, permettent de lutter contre la désertification, jouent un rôle clé dans la conservation de la biodiversité, la séquestration de carbone et l’atténuation des effets du changement climatique. En termes de services socio-économiques, ils permettent d’assurer et de maintenir un revenu aux éleveurs, des savoir-faire locaux, une source d’énergie. Nous pouvons également citer leurs avantages en matière d’approvisionnement, qui assure la sécurité alimentaire, de régulation, qui permet d’éviter les effets néfastes des inondations, ou encore leur aspect culturel.


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Les solutions mises en avant dans le projet incluent par exemple des actions sur la restauration des paysages productifs (agroécosystèmes, techniques ancestrales) ou des actions sur l’adaptation des parcours naturels (steppes naturelles). Des mesures de gestion permettront à terme une meilleure rotation de la pression du pâturage, tandis qu’un projet de restauration de la réserve naturelle pérennisera ses fonctions. Par ailleurs, un large travail de responsabilisation des agriculteurs vis-à-vis de leur patrimoine et de leur rôle est envisagé. Enfin, la mise en place de comités locaux pour le changement climatique permettra d’asseoir ces concertations.

Comment s’assurer de la durabilité de ces solutions dans un contexte de changement climatique et de pressions croissantes sur les écosystèmes ?

I. A. : Le projet prend en compte trois grands types de durabilité. Tout d’abord, la durabilité écologique qui tient compte du fait que les SAFN sont avant tout des infrastructures vertes, qui fournissent des services utiles à la société et permettent ainsi de réduire les risques climatiques et leurs effets sur les populations, leurs moyens de subsistance et plus globalement leurs sécurités hydrique, alimentaire, sanitaire…

Cependant, cette approche, pour qu’elle produise les bénéfices attendus sur le long terme, nécessite d’aider la nature à s’adapter, à travers par exemple le choix de variétés et d’essences plus résistantes à la sécheresse, l’intégration du changement climatique dans les plans de gestion pastorale ou la restauration des capacités de régénération naturelle des écosystèmes les plus dégradés. La durabilité économique est également recherchée en visant notamment à créer un lien entre l’écosystème et le producteur afin qu’il ait un intérêt direct à préserver le capital naturel dont il dépend pour sa subsistance.

Enfin, la durabilité sociotechnique, ou sociale, assure que les solutions mises en place, à travers la co-construction, la participation et l’innovation sociale, soient suffisamment appropriées par les bénéficiaires et soient à leur portée d’un point de vue technique. Il s’agit donc de favoriser principalement des solutions douces, écologiques, faciles à entretenir et à répliquer par les populations cibles. Cela permet de responsabiliser tous les acteurs de l’adaptation au niveau local.

Ce projet pourra-t-il être transposé dans d’autres régions vulnérables du pays ?

I. A. : Le projet a vocation à créer un précédent positif à l’échelle nationale, et il y a un réel potentiel de réplicabilité de l’utilisation des SAFN, bien au-delà de la région du Sud. Tout l’enjeu de la démarche sera de démontrer la valeur ajoutée des solutions, des pratiques, des modes d’intervention qui sont proposés.

Plusieurs leviers existent pour accompagner la mise à l’échelle de cette approche et de l’adaptation basée sur les écosystèmes. Il s’agit tout d’abord de l’institutionnalisation de ces pratiques, notamment via leur meilleure prise en compte dans les politiques agricoles et le code des investissements. De même, il y a un réel besoin en collecte de données afin d’évaluer l’impact de ces solutions et leur rapport coût-bénéfice en termes de réduction de la vulnérabilité au changement climatique et d’amélioration des conditions de vie et de revenu des populations. Enfin, le renforcement des capacités et les modèles de gouvernance climatique locale expérimentés par le projet ouvrent des perspectives de dissémination importantes à plus large échelle.