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Afrique Guinée agriculture
À l'occasion du Salon international de l'agriculture à Paris, l’AFD organisait avec le Cirad, la Cedeao et le Roppa, une conférence sur les innovations locales et politiques publiques capables d’assurer la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique. À l’heure où les crises internationales mettent en lumière des dépendances du continent aux importations, la production agroalimentaire africaine révèle dans le même temps de nombreux atouts pour se réinventer.

« L’Afrique nourrit les Africains ». Le thème de la conférence qui s’est tenue au Salon international de l’agriculture à Paris le 27 février, sous l’égide du Cirad, de l’AFD, de la Cedeao et du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), sonnait comme un ambitieux programme. De quoi aiguiser l’intérêt d’un public de spécialistes de la nutrition et des questions agricoles, bien décidés à décortiquer, quatre heures durant, les mécanismes d’une apparente contradiction : alors que le continent africain bénéficie d’une large population de paysans, d’une grande diversité de régimes alimentaires et de modèles agricoles, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estimait en 2021 qu’un Africain sur cinq souffrait encore de la faim.

Pour identifier les pistes qui permettront au continent d’asseoir sa souveraineté alimentaire et de dessiner son propre modèle de développement, une vingtaine d’experts internationaux se sont succédé à la tribune autour de Damien Conaré, secrétaire général de la chaire Unesco Alimentations du monde à l’institut Agro Montpellier. Alors que la fin de la conférence s’est concentrée sur les aspects plus techniques de l’accès à la souveraineté alimentaire (flambée internationale des prix des intrants agricoles, dépendance aux importations, place de l’agroécologie…), la première table ronde a, d’emblée, permis de faire l’état des lieux et de cerner les principaux défis qui attendent le continent.

 

Avec un premier constat, optimiste, posé dès l’introduction « On peut se féliciter de voir des politiques crédibles de plus en plus nombreuses, qui prennent le virage d’une économie qui reste mondialisée, bien sûr, mais qui repose sur ses propres forces plus nettement que précédemment, observe Rémy Rioux, directeur général de l’AFD, rappelant que l’Afrique a des bases solides, puisqu’elle n’importe que 16 % des ressources alimentaires dont elle a besoin, contre 13 % en moyenne dans le monde. »

Les conférenciers se sont ainsi attachés à décrire un panorama des diètes africaines grâce auxquelles le continent maîtrise de mieux en mieux sa destinée alimentaire. C’est Nicolas Bricas, socio-économiste au Cirad, qui rappelle le premier combien, partout, « l’alimentation s’est extraordinairement diversifiée ». Pour le chercheur, l’exemple du Nigéria est éclairant : « Du point de vue de l’explosion démographique, ce pays a trente ans d’avance sur le reste de l’Afrique. Or, c’est l’un des pays les moins dépendants des importations alimentaires, car il a fait exploser sa production de racines, de tubercules, de plantains, de niébés, de maïs. » La preuve, selon Nicolas Bricas, que « plus l’indice de Berry [indicateur de la diversité alimentaire] d’un pays est élevé, plus ce pays est résilient. C’est également le cas du Cameroun et d’autres », précise-t-il.

Diversification alimentaire insuffisante

Depuis les années 1980, la production alimentaire par habitant a rapidement augmenté sur le continent, dépassant même le seuil préconisé par la FAO (2 500 kilocalories par personne et par jour) en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. C’est ainsi que depuis peu la question des apports caloriques a cédé le pas, parfois, aux enjeux de qualité nutritionnelle. « Faute d’une diversification alimentaire suffisante, on voit désormais apparaître de l’obésité, comme à Bamako, où 22 % de la population est concernée », alerte Nicolas Bricas.

À son tour, Christiane Rakotomalala, nutritionniste à l’ONG Le Gret, à Madagascar, insiste : « La malnutrition liée au manque de micronutriments (essentiellement présents dans les fruits et les légumes) devient un problème de santé publique majeur en Afrique de l’Ouest. Malgré la disponibilité des aliments, il y a une méconnaissance des populations sur les pratiques. Par exemple, les monodiètes à base de céréales demeurent. Et en milieu urbain, l’arrivée des produits importés, très gras, sucrés, fait des ravages », s’alarme la spécialiste, qui rappelle que depuis vingt ans Le Gret et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) s’appuient sur le programme Nutridev, afin de prévenir la malnutrition infantile. « Nous accompagnons de petits groupements locaux pour qu’ils fortifient en micronutriments les produits qu’ils fabriquent », explique-t-elle.


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Parallèlement, d’autres initiatives ont vu le jour à Madagascar, pour favoriser la diversification agricole : « On accompagne, dans les hautes terres centrales où 70 % des enfants souffrent de malnutrition, les producteurs de légumes et de céréales. On promeut le secteur privé. Dans le Sud, où il y a des problèmes d’insécurité alimentaire à cause de la sécheresse, on s’associe avec des associations humanitaires pour introduire le mil, par exemple, pas du tout inscrit dans les habitudes agricoles malgaches, mais qui, comme le sorgho, résiste mieux. La création des blocs agroécologiques a permis de créer des cultures résistantes dans la zone », se félicite Christiane Rakotomalala.

Promotion des principes agroécologiques

Si la diversification agricole a des effets bénéfiques sur le plan nutritionnel, elle en a aussi sur le plan économique et environnemental. C’est ce qu’a tenu à souligner Toutkoul Drem-Taing, le secrétaire exécutif de la Propac, au nom de la Panafrican Farmers Organization (Pafo), tout juste arrivé de Yaoundé : « La diversification de cultures sur un même champ permet de prévenir les maladies : quand une culture est atteinte, on ne perd pas entièrement la production. L’association des cultures aide aussi à lutter contre le stress hydrique. Cela permet aux producteurs d’assurer la vie de leur famille et l’évolution de l’exploitation. »

Si l’organisation à laquelle il appartient promeut les principes agroécologiques (comme la diminution des intrants artificiels et l’économie d’eau), il convient de la difficulté de les mettre en œuvre à l’échelle des exploitations familiales, « à cause d’un manque d’accompagnement et de formation ». De manière générale, le secrétaire exécutif de la Propac insiste sur la nécessité de développer des politiques publiques destinées à rendre le milieu rural vivable et attrayant, notamment pour la jeunesse, « avec Internet, des écoles… Il faut une agriculture qui rapporte de l’argent, il faut faciliter l’accès au marché ».


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Au moment de clore cette première table ronde, Élisabeth Claverie de Saint-Martin, présidente directrice générale du Cirad, a le sourire : « On a voulu montrer, avec ce thème, combien l’Afrique a la maîtrise de sa destinée alimentaire. L’Afrique n’est pas en attente de solutions externes pour se sauver », lance-t-elle. Avant, toutefois, de rappeler le rôle de la recherche et de politiques publiques adaptées et de pointer les incertitudes des années à venir : le changement climatique, « auquel l’Afrique n’a pas toujours les moyens de répondre » et l’explosion démographique, « un défi auquel aucun continent n’a jamais fait face ».