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Le lac Victoria, en Afrique de l’Est, est gravement menacé. Le deuxième plus grand lac d’eau douce au monde est en effet pollué par de multiples substances, des déchets plastiques aux engrais chimiques. Mais la résistance s’organise. À l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, zoom sur plusieurs projets visant à améliorer la gestion de la précieuse ressource dans la région.

Partis à l’aube de Kisumu, au Kenya, le 8 mars, le Flipflopi et son équipage parcourent les eaux du lac Victoria pour sensibiliser et convaincre les gouvernements d’améliorer la qualité de l’eau des lacs et rivières est-africains. Le bateau, un boutre de pêche très coloré, a été construit à partir de 30 000 tongs et quelque sept tonnes de plastique, d’où son nom, dérivé de l’anglais flip flop (tong). Un véritable symbole flottant qui rappelle partout sur son passage que même après son exploitation initiale le plastique peut encore être utilisé.

À bord de leur bateau multicolore de neuf mètres, Dipesh Pabari, cofondateur du projet, et son équipage attirent toujours l’attention quand ils entrent dans l’un des nombreux ports du lac Victoria. Les habitants n’ont en effet jamais vu un boutre de pêche entièrement réalisé à base de déchets plastiques. « L’idée est de rassembler la communauté est-africaine, qui partage la ressource que constitue le lac Victoria », explique Dipesh Pabari. « Sans consensus sur la législation, c’est une bataille perdue d’avance, puisque quand vous jetez une bouteille dans les eaux ougandaises, elle finit sur les rives kényanes. »

Un symbole flottant de déchets recyclés

C’est en voyant les piles de déchets plastiques sur ces mêmes rives qu’en 2015 Ben Morison, autre cofondateur du projet, a décidé de leur trouver une utilisation. Il a engagé une équipe pour fondre et façonner ces détritus, les transformant en quille, coque et pont, avant de couvrir l’embarcation de sandales de toutes les couleurs.

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© Umber Studio, The Flipflopi Project

 

Le groupe pousse le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda à s’engager sur la voie de l’innovation, de l’éducation et du changement législatif pour éradiquer les plastiques à usage unique. Une étude menée en 2015 sur les systèmes digestifs des tilapias et perches du Nil, au sud du lac Victoria, a révélé que les microplastiques sont présents dans l'organisme de 20 % des poissons au moins, qui constituent une importante source de nourriture et de revenus dans la région.

Bien sûr, la pollution qui s’abat sur les lacs est-africains ne se limite pas aux plastiques. L’industrialisation, l’agriculture, les dépôts d’immondices et les rejets d'eaux usées ont tellement pollué le lac Victoria que ses riverains et les représentants locaux le comparent parfois à une fosse septique. De fait, la situation en termes de sanitaires et de gestion des déchets autour du lac a entraîné des écoulements de polluants dangereux dans le bassin, engendrant des épidémies de choléra. 

950 millions d'euros au secteur de l'eau et de l'assainissement

« Si l’on ne prend pas des mesures drastiques, le lac Victoria sera mort d’ici cinquante ans », prévient depuis des années Peter Anyang' Nyong'o, gouverneur du comté de Kisumu, au Kenya. Et pourtant, la pollution des eaux continue encore et toujours. Les usines à papier de la région et les comportements individuels font partie de la longue liste des coupables citée par le gouverneur Nyong'o. « Le lac meurt par le fond », a-t-il déploré en 2018.

L’Agence française de développement (AFD) compte parmi les organisations qui tentent d’éviter ce triste sort au grand lac. Depuis dix ans, elle a alloué 950 millions d’euros aux secteurs de l’eau et l’assainissement au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. Plus de 11 millions de personnes auront bénéficié d’un accès amélioré à l’eau potable, et plus de 3 millions de personnes auront accès à un système d’assainissement.

« En 2006, l’état des eaux et eaux usées de la ville de Kisumu était déplorable », confirme Phelix Okuta, ingénieur civil à l’Agence de développement des ouvrages hydrauliques du lac Victoria Sud, à Kisumu (Kenya). « Les interventions de l’AFD et du gouvernement ont permis de développer des infrastructures de traitement des eaux. Avant cela, l’approvisionnement en eau n’était disponible que six heures par jour à Kisumu. Aujourd’hui, les habitants y ont accès 24h/24. »

L'eutrophisation menace l'approvisionnement en eau

À Mwanza, en Tanzanie, tout au sud du lac Victoria, le manque d’infrastructures de traitement et les débordements des eaux usées ont contaminé le lac et entraîné des épidémies. En 2018, l’AFD a soutenu l’installation d’un « système d’égouts simplifié » pour le traitement des eaux usées domestiques, le renforcement des stations d’épuration et la construction de toilettes dans les écoles.

Ouganda test eau dépollution potable
© Jjumba Martin / AFD

 

Malgré tous ces efforts, la pollution du lac continue. Les algues prolifèrent, causant des problèmes de santé potentiellement graves pour les personnes exposées. Le projet WaSAf, lancé en 2015 et soutenu par le Fonds français pour l'environnement mondial (FFEM), l’AFD et le ministère français de la Transition écologique, mène des études chimiques détaillées des eaux du lac. Les scientifiques se penchent tout particulièrement sur l’eutrophisation, un phénomène qui sature le lac de nutriments organiques et minéraux, favorisant la croissance des algues et des cyanobactéries, raréfiant l’oxygène et abimant les écosystèmes et l’approvisionnement en eau.

Plus de 40 millions de personnes vivent autour du lac. Elles sont des millions à en dépendre financièrement, via la pêche ou d’autres activités économiques. Heureusement, les signes de changement se multiplient. Certains agriculteurs abandonnent ainsi la culture conventionnelle et ses engrais très polluants pour se tourner vers le bio.

Des solutions locales aux problèmes mondiaux

Depuis 2001, le Mouvement national ougandais pour l’agriculture biologique (NOGAMU) a collaboré avec plus de 1,2 million de petits exploitants. Ceux-ci ont été formés et mis en relation avec les marchés intéressés. « L’agriculture biologique est un enjeu stratégique pour assurer l’avenir des rives du lac », assure Chariton Namuwoza, PDG de NOGAMU.

C’est aussi un principe promu par le Flipflopi et son équipage, qui continue son voyage sur le lac Victoria, à bord d’un bateau en matières recyclées et à la seule force du vent. « Nous n’avons pas seulement construit un bateau, rappelle Dipesh Pabari. C’est un boutre, une embarcation dont la structure est inchangée depuis plus de 2 000 ans, qui a permis le commerce et relié l’Afrique à l’Asie. Cela montre bien que les solutions locales et traditionnelles existent déjà face aux problèmes actuels et mondiaux. »