100
élèves formés chaque année
11
mois de formation pour les apprentis
50 %
des Maliens de 15 à 39 ans sont au chômage ou en sous-emploi
La première école hôtelière en alternance du Mali a ouvert ses portes en 2015, à Bamako. Créé sous l'impulsion d'un chef d’entreprise visionnaire, l'établissement permet à la jeunesse malienne d'échapper au chômage. Tout en militant activement pour l'égalité des sexes.

Qu'il peut sembler loin, le Mali de la Madame Bâ d'Erik Orsenna. Après des années d’expansion économique, le coup d’État de 2012 entraîne le pays dans une crise politique et sécuritaire. La moitié Nord est occupée par les rebelles touaregs et les groupes djihadistes qui multiplient les exactions. Cela conduit à une intervention militaire internationale dans laquelle la France a joué un rôle majeur.

Vaste pays d’Afrique de l’Ouest sans débouché sur la mer, le Mali compte 17,6 millions d’habitants et une croissance démographique de 3,6 % par an. Peu diversifiée, l’économie malienne a beaucoup souffert. Le tourisme s’est effondré. Le Mali a pourtant des atouts solides pour remonter la pente : aide internationale, gouvernement actif et mobilisation d'entrepreneurs passionnés permettent d’espérer un renouveau de la croissance. Déjà, le tourisme d’affaires reprend à Bamako.

Pour Proparco, la filiale de l’AFD dédiée au secteur privé, le développement de l’industrie hôtelière était un préalable indispensable au retour des investisseurs. La création de l’École hôtelière Chiaka Sidibé (EHCS) a ainsi été soutenue dans le cadre d'un prêt de 16,4 millions d'euros destiné à la rénovation de l’hôtel Salam à Bamako, qui accueille l'école. Le prêt est assorti d'une assistance technique de trois ans pour la mise en place des programmes de formation.

 

Nos élèves sont conscients qu’ils sont là pour apprendre un métier et éviter la fatalité du chômage. 

Thomas Brissiaud, chef et professeur de cuisine
Mali, Bamako, école hôtelière
Mali, Bamako, école hôtelière, Luc Kassogué
L’alternance, un modèle inédit au Mali
À l’école hôtelière Chiaka Sidibé, on veut former les élèves aux plus hauts standards d'exigence. Pour cela, rien de mieux que l'apprentissage en alternance, une première au Mali. Daniel Hougnon, propriétaire du Badala Hôtel de Bamako, joue le jeu immédiatement et accepte le partenariat avec l’EHCS. Cet ancien du groupe Accor accueille cinq stagiaires. Il a déjà embauché l’un d’eux, Luc Kassogué (photo), issu de la dernière promotion. Serveur, Luc se forme en cuisine pendant ses jours de congés et rêve d’ouvrir son propre hôtel.

La moitié de l'enseignement est consacrée à des cours théoriques et l'autre à des stages au sein d’établissements bamakois, comme le Badala Hôtel. Même lorsque les étudiants sont à l’école, chaque midi est un exercice pratique sans filet : le restaurant d’apprentissage est ouvert au public.

Pour intégrer l’EHCS, les candidats doivent passer des tests écrits de niveau BEPC et un entretien individuel. Ensuite ? Pas de temps à perdre : dès leurs premiers jours, les élèves manient assiettes et couteaux à découper. Puis c'est le Grand Hôtel mitoyen pour faire les premiers pas en salle. Deux mois plus tard, ils sont engagés comme stagiaires dans les hôtels et restaurants de Bamako.
Mali, Bamako, école hôtelière, conseil en cuisine
Avec la bonne attitude, un job assuré
Dans les métiers de l'hôtellerie, il n'y a pas de place pour l'à-peu-près. Encore moins pour le dilettantisme. Très exigeant avec ses jeunes recrues, Daniel Hougnon, propriétaire du Badala Hôtel de Bamako, attend des élèves qu'ils soient vite opérationnels, passionnés par le métier, « avec la bonne attitude » : professionnels, volontaires, précis et motivés.

Ainsi, les choses sont tout de suite plus simples. À l’issue de leur formation de niveau CAP, les étudiants disposent d’une employabilité maximale : « Sur la première promotion, tous ceux qui le voulaient ont trouvé un travail », annonce fièrement le directeur de l'école, Nicolas Huet. Un constat partagé par le chef Thomas Brissiaud, impressionné par le niveau de motivation des élèves.

Partout dans le secteur, les besoins sont criants : à lui seul, le groupe Azalaï envisage de recruter 30 % d’élèves de chaque promotion. Pour celle de 2016-2017, l’école a passé un partenariat avec l’ONG SOS Villages Mali afin d'intégrer 25 élèves venus de milieux ruraux. La formation « Service en salle et commis de cuisine » a été complétée par la spécialité « Boulangerie-pâtisserie », très demandée à Bamako. Les effectifs suivent, passant de 40 à 60 élèves. La dynamique est lancée.
 Mali, Bamako, école hôtelière, Aminata Soumah
L'histoire d'une passion
Il est des genèses de projet qui mériteraient de figurer dans les manuels scolaires, sous le chapitre « Persévérance ». La création de l’École hôtelière Chiaka Sidibé (EHCS) à l'hôtel Azalaï Dunia de Bamako n'a pas été un long fleuve tranquille, entre instabilité politique et espoir de reprise économique. Mais aujourd'hui, c'est fait : « C’est un projet de cœur, vieux de dix ans et relancé plusieurs fois qui voit enfin le jour », se réjouit Aminata Soumah (photo), DRH du groupe hôtelier Azalaï et coordinatrice du projet. Pour la jeune femme, « ce programme a toute sa place » dans une Afrique de l’Ouest francophone où le secteur de l’hôtellerie veut imposer des standards de haut niveau.

« Cette école est née du besoin de combler un manque, explique pour sa part Mossadeck Bally, PDG du groupe Azalaï. Nous n’arrivions pas à trouver des jeunes ayant une formation initiale en hôtellerie, alors nous avons souhaité prendre les choses en main, créer une école et former les jeunes nous-mêmes. »
Mali, Bamako, école hôtelière, militaire
L'emploi, un enjeu au-delà du chômage

La présence d'un militaire belge en faction à l'entrée de l'école hôtelière Chiaka Sidibé le rappelle : le Mali reste sous la menace du djihadisme. Alors, aujourd’hui plus que jamais, les jeunes Maliens ont besoin d’opportunités économiques et de solutions qui répondent à leurs aspirations. Car même diplômés, ils rejoignent trop souvent les rangs des chômeurs.

Confrontée à un cortège de formations universitaires inadaptées et à la crise générale des apprentissages, la moitié de la jeunesse du pays est touchée par le sous-emploi ou l'inactivité forcée.

Dans ce contexte, le rôle des dirigeants de l'école et des initiateurs du projet est primordial : « C’est de la responsabilité sociale de notre entreprise que de réinvestir dans cette formation, dit Mossadeck Bally. De donner une chance à ces jeunes qui autrement, peut-être, iraient grossir les rangs des terroristes ou seraient tentés par l'aventure en traversant le désert et la Méditerranée, avec tous les risques que nous connaissons. »

Mali, école hôtelière, Philomène Diarra
L'égalité femmes-hommes comme impératif

Le choix de la parité s'est vite imposé à l'École hôtelière Chiaka Sidibé, dans un pays où l’autonomisation des femmes reste une question centrale et un défi à relever. Pour l'EHCS, le succès dépasse les espérances puisque l’école compte désormais une majorité d’étudiantes. Une bonne nouvelle pour le secteur de l’hôtellerie-restauration malien où les femmes restent sous-représentées, tant dans les fonctions dirigeantes qu’opérationnelles.

La vision de Mossadeck Bally
Pour l'initiateur de la première école hôtelière en alternance de Bamako, le succès de l'établissement n'est pas une fin en soi. Mais un projet destiné à s'étendre au-delà des frontières du Mali.
Mossadeck Bally
Mossadeck Bally© Ibrahim Diarrassouba

 

Deux ans après l'ouverture de l’école Chiaka Sidibé, Mossadeck Bally peut dire qu'il a réussi son coup. Désormais, les employeurs du pays veulent embaucher des élèves avant même la fin de leur formation. Et le temps est déjà venu de changer de dimension : « Devant le succès de notre première promotion et les retours très positifs des entreprises partenaires, nous avons décidé d’augmenter les effectifs 2017, d’ouvrir deux nouvelles classes en 2018 et de recruter davantage afin de former 100 élèves par an. »

À ce stade, un seul établissement ne suffit plus. Le PDG du groupe Azalaï voit plus loin : pour cet homme issu d’une famille de commerçants où « entreprendre est une seconde nature », il faut essaimer le concept dans d'autres pays africains. Une ambition qui répond à un réel besoin, tant le nombre d’offres d'emploi non pourvues en hôtellerie-restauration augmente chaque année dans les pays d’Afrique subsaharienne.

En attendant, l’EHCS recherche d’autres investisseurs et aspire à devenir une structure autonome, solide et reconnue. Il lui est donc nécessaire d'élargir l’offre de formation et de bâtir de nouvelles salles de cours pour couvrir tous les métiers de l’hôtellerie. En parallèle, son objectif est d'obtenir de l'État malien la validation du cursus de l'école comme formation diplômante. Et faire de l'apprentissage sauce Bally un plat de référence connu dans toute la région.