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Reportage Liban
Alors que le Liban connaît une crise économique sans précédent et que les écoles publiques sont touchées de plein fouet, des mères d’élèves se retroussent les manches : elles ont suivi une formation et travaillent chaque jour pour préparer des repas pour les plus vulnérables. Un engagement qui bénéficie aux élèves mais aussi à ces femmes, qui gagnent en indépendance.

À l’école publique du village de Chaat, dans la plaine de la Bekaa, au Liban, les cris des élèves qui attendent avec impatience la distribution des en-cas et des sandwichs rythment la journée.

Tartines, fruits, légumes… Tout est minutieusement préparé par cinq mères d’élèves qui travaillent au quotidien dans la cantine scolaire aménagée dans le cadre du programme d’aide alimentaire mis en œuvre par l’ONG International Orthodox Christian Charities (IOCC). Un programme qui bénéficiera à terme à 15 écoles publiques au Liban, soit environ 6 500 élèves. 

Le secteur éducatif public accueille majoritairement des élèves de familles vulnérables, à la fois réfugiées et libanaises. Le risque de déscolarisation est important car certains enfants doivent travailler pour subvenir aux besoins de leurs proches, alors que le Liban connaît l’une des pires crises économiques au monde depuis 1850 et que l'éducation est très affectée. La majorité des écoles publiques sont fermées depuis janvier 2023 en raison d'une grève des enseignants qui réclament des ajustements salariaux suite à la forte dépréciation de la monnaie locale. L'école de Chaat, elle, reste ouverte le plus souvent possible, pour l'instant.

Rim, Fatima, Zaynab et Samia partagent leur engagement pour assurer la continuité de l'éducation et le bien-être des enfants. Un travail qui ouvre à ces femmes de nouveaux horizons.


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Rim

Rim
© Élie Wehbé / AFD

Rim, 25 ans, avait dû interrompre sa formation de maquilleuse professionnelle pour des raisons financières et avait perdu espoir lors de l’effondrement économique au Liban. « Je n’aurais jamais cru qu’un jour je pourrais travailler. Mon rêve est devenu réalité ! », affirme-t-elle, toute souriante. Cette mère de deux enfants, Khodor et Yasma, dit avoir entendu parler de cette initiative par hasard à l’école : « Je me suis renseignée et j’ai décidé de tenter ma chance ». En l’espace de quelques semaines, la vie de Rim a complètement changé : « Ce travail a eu un impact positif sur ma personnalité, j’ai rencontré des gens et je ne suis plus aussi timide qu’avant ». Elle est très fière de son rôle au sein de la cantine scolaire : « Je sens que je fais quelque chose de tout mon cœur. L’équipe est très homogène, nous sommes une famille ». Pour elle, le moment fort de ses journées à l’école vient lorsque les mères distribuent toutes ensemble les sandwichs et les en-cas aux élèves : « La joie des enfants nous fait oublier tous les malheurs… Surtout les problèmes d’argent ». Aujourd'hui, son nouveau salaire l’aide : « Je suis indépendante financièrement. Je veux utiliser l’argent pour reprendre ma formation de maquilleuse dans l’espoir d’ouvrir, un jour, mon propre institut de beauté »

 

Fatima

Fatima
© Élie Wehbé / AFD

Depuis qu’elle a intégré la cantine scolaire, Fatima, 26 ans, se sent pousser des ailes. « C’est une nouvelle vie… J’ai plus confiance en moi-même », dit-elle d’une voix ferme. Cette jeune mère de trois enfants a passé des années à chercher en vain du travail pour aider son mari financièrement. « Le surveillant de cette école m’a parlé de cette opportunité… Grâce à ce travail, je suis indépendante financièrement », ajoute Fatima. Monah et Moueen, ses deux garçons, l’attendent dans la cour de récré avant de prendre leurs sandwichs. Ils sont aussi les premiers à l’aider dans la distribution. « À l’école, mes enfants me voient portant le masque, le bonnet sanitaire et des gants. Ils me demandent souvent pourquoi je ne fais pas de même à la maison », ironise la jeune femme. Avant d’intégrer son poste dans la cantine scolaire, Fatima a participé à une formation afin d’acquérir les connaissances nécessaires pour assurer ses fonctions. « J’ai énormément appris. Par exemple, je me contentais de laver les légumes et les fruits, alors que maintenant nous les stérilisons avant de les consommer, même à la maison. » Pour Fatima, son nouveau travail est important, notamment parce qu’il permettra à ses enfants de terminer leurs études et de préparer leur avenir. 


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Zaynab

Zaynab
© Élie Wehbé / AFD

Pour Zaynab, « Ce travail est une source d’espoir », alors que les opportunités d’emploi se font de plus en plus rares dans le village. Elle attend chaque jour « avec impatience » de se rendre à l’école pour travailler, voir ses enfants et faire une différence dans la vie des élèves. « J’espère vraiment que cette initiative s’inscrit dans la durée. Nous avons énormément appris grâce à la formation », explique Zaynab. « Beaucoup d’habitudes ont changé depuis que j’ai commencé ce travail, surtout en ce qui concerne l’hygiène », ajoute-t-elle, tout en assurant que cet emploi a renforcé sa personnalité. Lorsqu’elle parle de sa fille, Zahraa, Zaynab est très émue : « Ce travail me permet de faire de petits gestes qui font une grande différence dans sa vie. Et je sens que ma propre vie a un sens aussi. Je suis très heureuse, mais j’ai toujours peur de perdre ce travail… Et par conséquent cette joie de vivre qu’il m’apporte ! » 

 

 

 

 

Samia

Samia
© Élie Wehbé / AFD

« Je travaille pour plusieurs raisons, mais principalement pour ma fille, explique Samia, 32 ans. Ce travail me permet de me rendre avec elle à l'école chaque jour, elle se sent en sécurité en ma présence. » Samia nous explique que sa fille Rayanne, 8 ans, gravement brûlée au visage, ne voulait plus sortir de la maison, même pour voir ses camarades de classe. « Ce travail est avant tout une récompense psychologique pour moi. Il me permet de rencontrer des gens, de garder un œil sur mes enfants et d’avoir des journées productives. » Malgré la situation financière difficile de sa famille, Samia s'efforce de ne manquer aucun jour d'école. À l'entrée de l’établissement, un sourire se dessine sur son visage lorsque ses enfants Mohammed, Rayanne et Amine retrouvent leurs camarades. Mais c'est surtout la joie de côtoyer d’autres mères d'élèves comme elle, pour préparer ensemble la nourriture de leurs enfants, qui la rend heureuse. « Elles m'ont apporté un soutien exceptionnel et m'ont aidée à surmonter les moments difficiles. Ce groupe est un véritable environnement sécurisant pour moi », conclut-elle.


Lancé en 2021 grâce au soutien du groupe AFD, ce projet d’alimentation scolaire permet de lutter contre la malnutrition et le risque de décrochage des élèves en situation de vulnérabilité. Il se distingue aussi par son investissement dans la communauté locale, à travers la création d'emplois et la formation des femmes bénéficiaires, ainsi que le recours aux entreprises locales pour l’approvisionnement des cantines. Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur au Liban œuvre actuellement pour la mise en place d’une stratégie d'alimentation scolaire et l’institutionnalisation de ce programme, intervention clé pour une éducation équitable et de qualité.