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conflits armes Afrique Angola
Quels sont les impacts des conflits armés sur le développement des pays africains, et quelles leçons tirer des nombreuses interventions extérieures visant à les gérer ? Les deux autrices du chapitre consacré à ces questions dans « L’Économie africaine 2025 », Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network, et Élodie Riche, chargée de recherche à l’AFD, nous répondent.
Vous écrivez que l’Afrique reste la région comptant le plus de conflits étatiques par an. Et vous posez cette question : l’Afrique serait-elle le continent de la guerre ? Qu’en est-il ?

Élodie Riche : La plupart des études menées sur le sujet relativisent le fait de faire de l’Afrique le continent des conflits. Certes, ceux-ci y sont nombreux et se multiplient, mais ils ne sont pas les plus meurtriers. Ils le sont en tout cas moins que les guerres au Moyen-Orient et en Asie.

L’image d’une Afrique des conflits doit beaucoup à celle des seigneurs de guerre, imposée dans les années 1990, et de conflits qui ne seraient pas politiques. Or, ils sont tout autant politiques que le reste des conflits mondiaux. Ce qui caractérise vraiment les conflits africains est plutôt le fait qu’ils sont souvent soumis à des interventions extérieures.

Niagalé Bagayoko : La dimension politique des conflits armés sur le continent africain a eu tendance à être occultée. On a surtout forgé des solutions soit autour d’interventions humanitaires, comme en Somalie dans les années 1990, soit à travers un prisme extrêmement technique où l’on estimait que seule une réforme de l’État permettrait de domestiquer une violence perçue comme irrationnelle. Le politique était en réalité extrêmement présent dans des entités non étatiques, qui elles aussi véhiculaient une vision alternative, non pas seulement de l’État, mais plus largement de la société.


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Quels sont les impacts de ces conflits sur le développement des pays touchés ?

É.R. : Ce coût est évidemment important, tant en termes de pertes humaines que de pertes économiques. Les économistes qui ont tenté de chiffrer cela estiment généralement la perte à deux ou trois points de produit intérieur brut (PIB) par an en moyenne. Ce sont aussi des budgets en moins pour le développement, car les crises poussent les gouvernements à opérer davantage de dépenses militaires que sociales.

Mais ces crises n’affaiblissent pas automatiquement l’État et sont aussi parfois le moment où se résolvent des problèmes et où s’impulsent des dynamiques positives. Par exemple, on peut voir d’un bon œil le fait que dans certains conflits le rôle des femmes s’accroît dans l’économie et la politique.

N.B. : N’oublions pas que la guerre a toujours été un moyen de forger des sociétés. La plupart des avancées se sont malheureusement faites dans la violence. Les dynamiques conflictuelles à l’œuvre sur le continent africain participent de mouvements structurels qui contribuent à refonder des modèles qui se sont avérés ne pas correspondre aux aspirations du plus grand nombre.

Que demandent les populations aujourd’hui ? Plus de patriotisme, plus de nationalisme. On a eu tendance à enfermer l’Afrique dans des visions assez stéréotypées, avec une idéalisation de société civile qui défendrait des valeurs démocratico-libérales. On n’est absolument plus dans ce schéma aujourd’hui. Et cela fait partie de ces mobilisations qui ne sont pas guerrières mais qui n’en sont pas moins violentes, en tout cas dans la rhétorique utilisée.


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Quel est le bilan des interventions extérieures visant à mettre un terme à ces conflits, et notamment de celles de « stabilisation » combinant action militaire et aide aux populations ?

N.B. : Il y a un échec total de la forme de stabilisation que les partenaires extérieurs, à la fois bilatéraux et multilatéraux, ont essayé d’imprimer en Afrique. En cause, d’abord une difficulté à prendre en considération le contexte dans lequel ont été menées ces interventions, avec la mise en œuvre de solutions totalement standardisées, prétendument valables de tout temps et en tous lieux, et qui ne correspondaient ni aux attentes des gouvernements, ni à celles des populations.

Il y a aussi eu la tendance à vouloir réformer les institutions depuis l’extérieur. Or, on ne peut pas reforger un contrat social pour d’autres : il n’y a rien de plus propre à l’essence d’une entité politique que le choix des rapports sociaux et de pouvoir qu’elle instaure en son sein. Des normes ont ainsi été promues et se sont révélées en contradiction avec la vision des sociétés. Cela fait une dizaine d’années que, du côté de la recherche, l’on répète que ces solutions ne fonctionnent pas.

É.R. : On a eu tendance à élaborer des solutions techniquement élégantes et intéressantes, mais qui ne correspondaient pas aux souhaits et aux réalités locales. On a péché par excès de confiance en nos solutions. Par ailleurs, la notion de stabilisation est extrêmement conservatrice. Or, dans un conflit, il y a parfois des revendications violentes qui méritent d’être entendues. L’idée qu’on va revenir à la situation initiale d’une crise, sans prendre en compte ces revendications, est contestable.

N.B. : Cette question de la stabilisation est absolument essentielle, parce qu’on peut la retourner et se demander si, finalement, à travers le retour des militaires au pouvoir, à travers l’affirmation d’ordres religieux et sociétaux extrêmement conservateurs, il n’y a pas une forme de stabilisation autoritaire qui est en train de s’imposer. Car l’objectif final de la stabilisation, c’est aussi d’éviter les externalités négatives en provenance du continent africain.


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Est-il encore possible de corriger le tir ?

É.R. : Il est important de faire le bilan aujourd’hui. Les institutions internationales comme l’ONU ont entamé ce travail de réflexion sur leurs interventions « multidimensionnelles » et les revoient à la baisse. L’absence d’autocritique vient nourrir un sentiment d’échec, qui nourrit à son tour les solutions de pure force. Car d’autres acteurs en viennent à la conclusion que seule la force militaire est à même de résoudre les conflits. Ce n’est pas totalement farfelu, mais on ne peut évidemment pas s’en satisfaire.

N.B. : Il va être très long de revenir là-dessus. D’abord parce que la plupart des acteurs ont adopté les mêmes pratiques de résolution des conflits. Ensuite parce qu’on a formé une génération entière de gestionnaires de projet à ces approches, à un raisonnement mental qui n’est pas adapté.

Il y a aussi une fatigue du côté des populations et des États qui ont financé ces opérations internationales et une volonté de recentrer les investissements à l’intérieur de leurs frontières. Mais il ne s’agit pas seulement d’un renoncement des donateurs : c’est aussi un rejet du côté des récipiendaires qui disent qu’ils ne veulent plus d’aide. On ne résiste pas à cela, on ne peut rien y faire. Le mal est fait.

Quelles solutions fonctionnent dans le cadre de ces conflits ?

N.B. : Il faut développer l’esprit critique et la connaissance des sociétés où l’on veut intervenir. Et regarder ce que les autres modes d’intervention proposent. Car il en existe de très efficaces !

É.R. : Là où l’aide au développement est la plus utile, c’est dans les phases préventives. Pour ce qui concerne l’intervention dans les conflits, on peut privilégier des petits projets, proches du terrain, voulus et décidés par des acteurs locaux, avec une approche modeste, et pas uniquement des projets alliant sécurité et développement, mais en soutenant aussi des projets avec une dimension politique. C’est ça qui peut fonctionner aujourd’hui, et ce sur quoi l’aide doit mettre l’accent.


La publication « L’Économie africaine 2025 » est le fruit d’une collaboration étroite entre chercheurs de l’AFD et universitaires spécialistes des États africains. Elle décrypte les défis du continent africain en déconstruisant les idées reçues.

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