Quels sont les principaux défis de la lutte contre le cancer en Tanzanie ?
Alain Fourquet : La Tanzanie est confrontée à des défis importants en matière de dépistage, en particulier dans les zones rurales. Par exemple, on estimait en 2019 qu'un tiers seulement des cas de cancer étaient pris en charge, dont 60 % à un stade avancé. Cela est dû à l'accès limité aux centres de dépistage, à l'important sous-équipement en structures de prise en charge des cancers, mais aussi au manque de sensibilisation aux pratiques de détection précoce et aux stéréotypes entourant cette maladie. La plupart des habitants ne savent pas ce qu'est le cancer, les hommes surtout – et lorsqu'ils en ont connaissance, une croyance populaire veut qu'il s'agisse d'une maladie féminine.
Ensuite, lorsqu'un cas est détecté, il est essentiel que le traitement approprié soit accessible. Cependant, avant le projet, il n'y avait que sept appareils de radiothérapie externe dans le pays pour 61 millions d’habitants, contre 607 en France pour 67 millions d'habitants. En outre, les centres de traitement ne disposent parfois que de machines obsolètes ou ne possèdent pas d'unité de chirurgie pour une prise en charge complète des patients. Or, le nombre de cas de cancer en Tanzanie est en constante augmentation, et il est à prévoir que cela deviendra un véritable problème de santé publique dans les années à venir.
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Quelle approche a été adoptée par le projet Tanzania Comprehensive Cancer Project (TCCP) ?
Nous sommes partis du constat, avec le Réseau Aga Khan de développement (AKDN) et l'AFD, qu'il était nécessaire d'adopter une approche intégrée pour relever ces défis, combinant sensibilisation, dépistage et renforcement des capacités de traitement. Nous avons donc proposé un plan d'action pilote sur quatre ans dans les deux principales régions du pays : Dar es Salaam et Mwanza.
Le projet a permis de lancer des campagnes de sensibilisation dans les médias et sur les réseaux sociaux, et de renforcer les actions de dépistage dans tout le pays. À cette fin, nous avons formé plus de 460 médecins et professionnels de santé dans des établissements publics et privés à but non lucratif. Le projet a bénéficié du réseau étendu et structuré de l'Aga Khan, qui dispose de centres de santé dans tout le pays.
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Le projet a également permis des investissements en équipements de radiothérapie, avec la création d'un centre de lutte contre le cancer au sein de l'hôpital Aga Khan à Dar es Salaam. Il a été équipé de deux appareils modernes de radiothérapie et d'un scanner dédié pour la préparation des traitements. Il comprendra une unité de chimiothérapie ambulatoire. Dans le cadre de cet accord, 30 % des patients reçus doivent être couverts par le système d'assurance maladie national ou bénéficier de soins gratuits s'ils n'ont pas les moyens de les payer. Des équipements d'imagerie ont été installés dans les hôpitaux publics de Dar es Salaam et de Mwanza.
Le projet a aussi misé sur l'implication de différents acteurs pour assurer sa pérennité : des associations de patients déjà constituées ont été formées pour accompagner les nouveaux malades, et 400 travailleurs de santé ont été installés au sein des communautés pour sensibiliser et encourager les membres à se faire dépister. Le gouvernement tanzanien a été associé à chaque étape du projet.
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Quatre ans plus tard, quel bilan tirez-vous de ce projet ?
Concernant le premier volet, plus de 750 000 personnes ont été dépistées grâce à ce projet, et des solutions innovantes ont été mises en œuvre pour accroître le diagnostic. Par exemple, un double dépistage Covid-cancer a été mis en place pour les hommes, avec des tests antigéniques plutôt que des examens de la prostate pour lever les freins au dépistage. Des « camions de dépistage » ont pu atteindre des villages reculés dans les deux régions. Les campagnes de sensibilisation ont quant à elles permis de toucher plus de 4,5 millions de personnes.
D’autre part, le nombre de nouveaux cas dans les hôpitaux partenaires a augmenté et, notamment, le nombre de cas précoces a doublé, ce qui montre que la méthode a été efficace et a permis de mieux prendre en charge les patients. Non seulement le projet a bien fonctionné, mais il est surtout exportable à l'ensemble du pays et dans des régions similaires en termes d'enjeux. Nous espérons désormais réussir à maintenir le momentum pour que les efforts se poursuivent, notamment via un plan d'action national avec le gouvernement.