En 2022, l’AFD a réalisé une analyse croisée de 62 évaluations et capitalisations de projets menés au Sahel dans des secteurs variés, tels que le développement rural, l’eau, l’énergie, l’éducation ou encore la santé. Si les projets produisent des résultats notables, les évaluations montrent toutefois que leur pérennité n’est globalement pas assurée. Dans un contexte de crise sécuritaire, la difficulté à trouver des relais au sein des collectivités locales ou de la société civile pour assurer la poursuite du financement et de la gestion des infrastructures ou des services, une fois que le projet est achevé, est un obstacle majeur à la durabilité.
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Par souci d’efficience et face à la faiblesse des pouvoirs publics dans certaines zones, l’AFD peut faire appel à des ONG internationales pour la mise en œuvre de certains projets. Cette stratégie peut fonctionner si les ONG – souvent plus habituées aux interventions d’urgence humanitaire dans ces territoires particulièrement fragilisés – s’inscrivent dans une approche structurante et de long terme. Ce fut le cas au Cameroun avec le projet I Yéké Oko, mis en place entre 2019 et 2023 par la Croix-Rouge. Ce dernier visait à répondre à la crise migratoire centrafricaine de 2014. Cette crise, la plus violente de l’histoire de la RCA, a été marquée par des violences à grande échelle et des départs massifs de la minorité musulmane du pays, et a conduit à un effondrement de ses structures sociales et économiques. Florian Charpentier, coordinateur du projet I Yéké Oko, revient sur les résultats de cette initiative.
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Quels résultats concrets le projet I Yéké Oko, financé par l’AFD au Cameroun et en République centrafricaine, a-t-il enregistrés à ce jour ?
Florian Charpentier : I Yéké Oko – « On est ensemble » en langue sango – est une réponse à la crise migratoire centrafricaine de 2014. Plus de 300 000 réfugiés centrafricains ont afflué vers le Cameroun, exerçant une pression sur les ressources naturelles, administratives et économiques de la région. Ce projet, à cheval sur les deux pays, vise à atténuer cette pression en favorisant la cohésion civique, sociale et économique.
Grâce à une approche transversale, fondée sur une coopération accrue avec les partenaires institutionnels, les organisations de la société civile, les autorités locales et les bénéficiaires finaux, la plupart des objectifs fixés ont été atteints. Les campagnes de sensibilisation autour de l’état civil et la création d’espaces communaux de dialogue ont renforcé la gouvernance locale. En parallèle, les activités de promotion de la paix et de gestion des ressources et des espaces agropastoraux ont limité les conflits communautaires liés à l’afflux de réfugiés. Le climat social apaisé, nous avons enfin contribué à raffermir la cohésion économique en encourageant la création d’associations villageoises d’épargne et de crédit, en accompagnant les jeunes porteurs de projets (élevage, maraîchage, petits commerces) et en créant de nombreuses infrastructures économiques (marchés couverts, abattoirs, aires de séchages, ferme avicole, etc.). Cette approche holistique a permis de renforcer la résilience des populations face aux défis de la région.
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Comment favoriser la durabilité de ces résultats ?
Plusieurs conditions doivent être réunies pour engendrer des résultats durables : une bonne analyse des besoins, bien sûr, une approche transversale et intégrée, le soutien de l’État et l’implication des partenaires institutionnels et locaux. Par exemple, au Cameroun, nous savons que certaines initiatives impulsées par I Yéké Oko vont perdurer car elles sont désormais directement intégrées aux budgets des communes et des mairies. Mais la stabilité politique et sécuritaire reste un défi majeur, surtout en République centrafricaine. Le but des humanitaires et des acteurs du développement est de tout mettre en œuvre pour pérenniser les résultats des projets engagés, mais nous devons rester humbles quant à notre capacité à impacter une zone, une région ou même un pays entier. Car, en fin de compte, le destin d'un pays n’appartient qu’à lui-même. Il ne doit pas dépendre de la communauté internationale.