Article publié pour la première fois le 16 octobre 2024 et mis à jour le 25 novembre 2024
Pouvez-vous nous présenter l'ONG que vous dirigez ?
Aurélie Gal-Régniez : Equipop est une ONG qui promeut l’égalité de genre dans le monde, en mettant un accent particulier sur les droits liés à la santé sexuelle et reproductive. Notre action se décline en trois axes principaux. D’abord, le plaidoyer politique : nous cherchons à ancrer l’égalité de genre dans les agendas politiques du local au global, en soutenant des associations et des activistes de première ligne pour qu’elles puissent faire entendre leur voix, et en participant aux processus décisionnels, notamment à l’échelle onusienne. Ensuite, l’empouvoirement des mouvements : nous apportons un soutien financier à une centaine d’associations, avec une attention à la consolidation des échanges et des actions collectives. Et enfin, l’innovation dans les réponses aux enjeux d’égalité : nous collaborons avec des chercheuses, activistes et citoyennes pour tester de nouvelles approches.
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Vous avez été pionnière dans l’intégration de l’approche genre au sein de l'agenda diplomatique international. Comment cette inflexion stratégique se traduit concrètement au sein de votre association ?
Depuis sa création, Equipop a placé la santé et les droits des femmes au cœur de son action. Cependant, à partir de 2005, nous avons effectivement intégré l’approche genre de manière plus intentionnelle. Chausser systématiquement les « lunettes genre » permet de repenser les inégalités sociales et de participer à un partage plus équitable du pouvoir et des ressources à tous les niveaux de l’action. À cette époque, cela a profondément modifié le projet de l’association et ses modes d’intervention. Nous avons également contribué à diffuser cette approche au sein du milieu associatif et auprès des décideurs politiques, notamment en participant à la création d’une commission genre au sein de Coordination Sud.
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Historiquement, Equipop a toujours travaillé en solidarité avec des actrices de première ligne. Mais en intégrant cette perspective, nous avons progressivement élargi nos partenariats en apprenant à collaborer avec des actrices moins formelles, portant des mobilisations nouvelles. Nous avons en effet observé l'émergence de nombreuses jeunes activistes féministes dans le monde, en particulier en Afrique de l’Ouest francophone.
Ces militantes portent des positionnements très variés, des pensées décoloniales à l’écoféminisme. Certaines poursuivent les combats de leurs aînées, comme la modification du code de la famille, et d'autres portent des enjeux jusque-là peu visibilisés, comme la dignité menstruelle. La plupart investissent de nouvelles formes d’organisations, utilisant les outils digitaux, mais aussi l’art comme outil de mobilisation. Parmi nos collaborations avec des associations : Stop au chat noir, qui lutte contre les violences sexistes en Côte d’Ivoire, l’Addad au Burkina Faso, une association de jeunes travailleuses domestiques qui apporte un soutien matériel et un accompagnement juridique à ses membres, ou encore Filles en actions au Bénin qui informe et lutte contre la précarité menstruelle. Ces associations diverses forment un mouvement riche et de plus en plus interconnecté auprès de qui nous apprenons beaucoup.
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Comment Equipop a-t-elle bénéficié du Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF) ?
Depuis plus de quinze ans, Equipop bénéficie du soutien de l’AFD pour mener à bien des projets au service de l’égalité de genre et des droits des femmes, en collaboration avec des associations et des chercheuses. Mais la mise en place du Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF) a constitué un tournant dans notre relation avec l'AFD. Ce fonds, lancé en 2020 dans le cadre de l’agenda « diplomatie féministe » de la France, constituait une réponse concrète aux besoins des associations féministes de première ligne, extrêmement sous-financées malgré leur rôle crucial. Il s’agit toujours d’un levier indispensable pour soutenir des associations qui agissent sur le terrain.
Il est essentiel d'insister sur le fait que le FSOF venait corriger une lacune majeure du financement international des associations féministes. Un rapport de l’Awid publié en 2021 a révélé que moins de 1 % de l’aide publique au développement mondiale axée sur le genre est effectivement alloué aux institutions et associations pour les droits des femmes. Ce taux est alarmant, car nous savons que c’est grâce à la mobilisation des militantes et des associations que les plus grandes avancées en matière d’égalité sont obtenues. Le FSOF visait à corriger ce déséquilibre en dirigeant une partie substantielle des fonds vers les associations dont la défense des droits des femmes constitue l’objet premier, en particulier celles qui sont en première ligne et qui restent les moins dotées.
Le FSOF a ainsi permis à des consortiums rassemblant des associations de solidarité internationale, des fonds féministes, des ONG, de développer des mécanismes de soutien financier auprès d’associations de plusieurs géographies. Equipop, aux côtés d’autres actrices, a participé à sa mise en œuvre et a ainsi pu renforcer ses partenariats existants, tout en en développant de nouveaux. Appuyer la création de médias, de festivals ou de bibliothèques féministes, financer des centres d’accueil de femmes victimes de violences, former des femmes à l’agroécologie ou mener des campagnes de sensibilisation à la dignité menstruelle : les projets portés par les associations partenaires sont divers.
L’un des grands défis auxquels sont confrontées les associations reste le manque de financement durable et flexible. Le FSOF avait justement pour particularité de financer non seulement des actions ponctuelles, mais aussi de soutenir le développement institutionnel des associations. Celles-ci ont donc pu utiliser une partie des fonds pour recruter du personnel, se doter de locaux, investir dans des outils de communication ou encore former leurs membres. C'est essentiel pour leur permettre de porter des changements de long terme au niveau local et international.
Car un autre aspect important du FSOF est qu'il a permis à ces associations de s’inscrire dans des dynamiques de plaidoyer collectif. Par exemple, plusieurs délégations d’activistes féministes ont pu se rendre à Paris et dans d’autres capitales pour porter leurs revendications auprès des décideurs politiques. Ces rencontres permettent aux activistes de partager leurs expériences et de participer à la définition des politiques publiques. Le dialogue avec les décideurs est crucial pour influencer les agendas politiques et obtenir des avancées législatives et sociales.
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Dans les territoires en crise, comment parvenez-vous à faire avancer l’agenda féministe malgré la déstabilisation politique et les conflits ?
Les crises – qu’elles soient économiques, politiques, sanitaires ou environnementales – ont toujours des conséquences particulièrement lourdes pour les femmes et les filles. Les conflits, en particulier, renforcent les inégalités de genre existantes et aggravent les violences, notamment à l’égard des femmes. Cependant, dans ces situations, il existe des groupes ou des associations, parfois très informels, qui continuent à se mobiliser en faveur de la paix, pour défendre leurs droits et ceux de leurs communautés. ainsi que pour apporter des secours et s'attaquer aux causes profondes des conflits. Il est primordial que ces actrices soient soutenues financièrement et connectées à des réseaux de solidarité transnationaux qui leur permettent de faire entendre leurs voix et leur apportent une protection accrue.
Que pensez-vous des avancées de la diplomatie féministe de la France, et quel est votre point de vue sur l’Alliance féministe francophone, dont la création a été annoncée dans le cadre du dernier Sommet de la francophonie ?
La France a fait des avancées significatives en matière de diplomatie féministe ces dernières années, et c’est une évolution que nous saluons même si beaucoup reste à faire. Des dispositifs comme le FSOF ont permis d’amorcer un soutien concret à des centaines d'associations et de mouvements féministes à travers le monde. Ces mécanismes de financement ont nécessité beaucoup de concertation et d’investissement conjoint des équipes du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE), de l’AFD et du monde associatif féministe pour être conçus et mis en place. Leur impact dépendra maintenant de leur capacité à s’inscrire dans le long terme. Les partenariats avec les associations de femmes et les organisations féministes seront-ils portés par une vision politique consistante ? On peut dire que nous sommes à un tournant où l’enjeu est de maintenir le cap et les financements dédiés au-delà d’annonces ponctuelles.
En ce sens, l’Alliance féministe francophone est une bonne nouvelle. Cette initiative répond à la nécessité de soutenir dans leur diversité les militantes et associations qui, dans de nombreux pays francophones, portent un agenda en faveur de l’égalité de genre.
Cette alliance est facilitée par un consortium d'associations, dont le Fonds pour les femmes en Méditerranée, la Fédération internationale pour les droits humains et Equipop. Elle repose sur le même principe directeur que le FSOF : soutenir les activistes de première ligne. Ici, l’objectif est de renforcer leur participation aux espaces multilatéraux – c’est-à-dire les processus de négociation et de décision internationaux. À l’heure actuelle, les activistes féministes francophones se heurtent à de nombreux obstacles pour faire entendre leurs voix, tels que la faiblesse des financements, le manque d’espace de coordination et la barrière linguistique.
Dans un contexte mondial marqué par la montée des mouvements anti-droits, nationalistes et réactionnaires, il est essentiel de créer et de renforcer des alliances progressistes pour protéger les droits des femmes et promouvoir un agenda féministe.