Que représente ce prix Simone de Beauvoir pour vous et en quoi correspond-il à votre vision du féminisme ?
C’est vraiment un grand honneur et une grande fierté que mon travail soit reconnu à l’extérieur, pour moi, mais aussi pour mes consœurs. Nous rencontrons souvent des obstacles dans notre travail au quotidien auprès des femmes malheureusement, jusqu’à des agressions verbales, donc recevoir un prix de cette envergure permet de savourer nos victoires et nous conforte dans les actions que nous menons.
Comme Simone de Beauvoir, je me revendique « féministe radicale » et je pense qu’il faut combattre le mal à la racine : la fin de l’oppression des femmes ne peut passer que par la lutte contre le patriarcat.
Regarder la vidéo L'AFD, le choix du développement féministe
Vous avez cofondé en 2020 la Ligue ivoirienne des droits des femmes. En tant qu’agronome, quelles sont vos actions auprès des femmes agricultrices en Côte d'Ivoire ?
Nous avons mis en place et développé des formations en agriculture dans plusieurs villages : méthodes écologiques, commercialisation des récoltes, mobilisation de financements pour acheter du matériel…
À Vavoua, dans le Centre-Ouest, nous avons accompagné des femmes dans la création d’une coopérative, nous avons négocié pour avoir des terres…
Les femmes se voient refuser l’accès aux terres ?
Oui, du point de vue de la loi, les femmes ont le droit d’accéder aux terres comme les hommes, mais dans la réalité on se confronte à des refus, même pour une location. Nous nous sommes battues et cela a été concluant : quand le chef du village a constaté la première récolte, il a proposé de céder une parcelle de terre. Il y a donc des progrès, mais le chemin est encore long et c’est aux pouvoirs politiques d’agir.
Dans le Sud, nous collaborons avec des femmes qui avaient établi une coopérative, mais n’avaient pas de moyens techniques ni financiers. Les femmes n’ayant pas de terres pour travailler pour l’instant, elles misent sur la transformation agricole : elles font des beignets à partir du manioc, du sirop de gingembre…
Grâce à l’argent que ces femmes agricultrices gagnent, elles peuvent notamment régler les frais de scolarité de leurs filles, et pas seulement de leurs garçons. Car elles sont souvent obligées de choisir quels enfants scolariser.
Lire aussi : Burundi : des cantines contre le décrochage scolaire
Selon vous, l’autonomisation économique des femmes est un moyen efficace de prévention des violences qui leur sont faites ?
Oui, malheureusement c’est la base. Je dis « malheureusement » car la liberté ou le respect d’une femme ne devrait pas dépendre de ses ressources. Mais sur une centaine de femmes victimes de violences qui nous ont contactés, au moins 90 ne peuvent pas quitter leur domicile car elles n’ont pas les moyens d’avoir un autre logement, ni même d’aller à l’hôpital.
Au-delà de l’indépendance économique, il faut aussi un travail mental, car le patriarcat est un système profondément ancré. La plupart des femmes pensent que même si elles réussissent socialement, si elles ne sont pas mariées, elles n’ont pas réussi leur vie.
Lire aussi : Aux Philippines, restaurer la dignité des victimes de violences sexuelles
Avez-vous vous-même rencontré des obstacles dans votre parcours professionnel en tant que femme ?
Oui, on m’a souvent affirmé notamment que l’agronomie était un métier d’homme, qu’il fallait de la force physique pour faire ce métier. Alors que l’agronomie est une science et fait surtout appel à la réflexion afin de trouver des solutions pour les agriculteurs et agricultrices.
En outre, le fait que je sois une femme agronome peut susciter des vocations chez les jeunes filles que je rencontre dans les écoles. Elles savent maintenant que c’est possible d’exercer un tel métier, qu’elles peuvent mettre leurs capacités intellectuelles au service de leurs convictions.
Et grâce à ce prix, elles se rendent compte du chemin que j’ai parcouru et de la reconnaissance que ce travail a m'apportée.
La Ligue ivoirienne des droits des femmes est une association accompagnée par l’AFD dans le cadre du Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF)