Odile Conchou : « Chaque année, 500 milliards de dollars vont à des projets qui peuvent détruire la nature »

publié le 17 Octobre 2022
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Les banques publiques de développement du monde entier se réunissent les 19 et 20 octobre à Abidjan, en Côte d'Ivoire, pour le sommet Finance en commun. La protection de la biodiversité et son financement sera un sujet important des discussions. Odile Conchou, conseillère Biodiversité et finance à l’Agence française de développement, nous en dit plus sur les enjeux.
Odile Conchou AFDProtéger la biodiversité, est-ce d’abord une question de finance ?

C’est fondamental, mais ce n’est pas suffisant. La finance est le nerf de la guerre, mais encore faut-il savoir ce qu’on finance. La protection du vivant commence par une volonté politique à tous les niveaux, afin de déterminer ce qui doit être fait, comment et avec qui. Ensuite, il faut des ressources humaines et financières. Des ressources financières sans des personnes compétentes pour les mettre en œuvre, cela ne marche pas. Et c’est d’ailleurs ce que nous disent les pays en développement dans les discussions de préparation à la COP15 sur la diversité biologique : ils n’ont pas forcément les capacités nécessaires pour mettre en pratique un accord très ambitieux.

L’autre question est : comment finance-t-on cela ? Actuellement, les financements mondiaux en faveur de la biodiversité se situent entre 124 et 143 milliards de dollars par an (121 à 140 milliards d’euros), dont 6 milliards proviennent de l’aide internationale comme celle du groupe AFD. Il en faudrait cependant bien plus. Les estimations des besoins diffèrent selon les études. Les plus importantes sont de l’ordre de 600 à 800 milliards par an.


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Dans le même temps, beaucoup de subventions publiques, à hauteur de 500 milliards de dollars chaque année, vont à des projets qui peuvent détruire la nature. Si cet argent ne servait plus à financer de telles activités, ou mieux, s’il était réalloué à des projets positifs, on comblerait une grande partie des besoins. On pourrait aussi inciter les entreprises et les institutions financières, par des mesures adéquates, à réduire ou à éviter leurs impacts négatifs sur la biodiversité. Ce n’est donc pas forcément en y consacrant des sommes énormes et nouvelles que l’on changera les choses. Changeons d’abord la façon de financer et de concevoir les projets et les politiques nationales.

Qu’est-ce que l’approche Nature+ de l’AFD ?

Nature+ est notre feuille de route pour la biodiversité à horizon 2025. On parle de nature afin d’inclure tous les éléments non vivants qui entourent le vivant : l’eau, l’air, le sol… Cette approche inclut deux engagements majeurs : doubler les financements de l’AFD pour des projets qui soient positifs pour la nature en les portant à un milliard d’euros par an d’ici 2025, et faire en sorte que 30 % de nos financements consacrés au climat aient aussi des co-bénéfices pour la biodiversité.

L’AFD applique également une démarche de maîtrise des risques environnementaux et sociaux au niveau de chaque projet, dans laquelle la biodiversité doit être prise en compte. Si une destruction est prévue, il faut pouvoir l’éviter, la réduire ou à défaut la compenser.


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Nous souhaitons aligner nos financements sur le futur cadre mondial pour la biodiversité, qui devrait être finalisé en décembre à la COP15, notamment sur deux de ses principaux objectifs : protéger 30 % des terres et des mers d’ici 2030, et accompagner les secteurs économiques pour une meilleure prise en compte de la biodiversité dans les 70 % d’espace restant.

Que peut-on attendre du rendez-vous annuel des banques publiques de développement, le sommet Finance en commun, organisé cette année à Abidjan, en Côte d’Ivoire, les 19 et 20 octobre ?

Un certain nombre de banques publiques de développement se sont emparées du sujet de la nature, au-delà du climat. Elles sont attendues sur cette question des financements qu’elles peuvent apporter, mais surtout sur l’effet de levier que ceux-ci peuvent avoir sur les financements privés. Leur rôle en faveur du renforcement des capacités des pays qui en ont le plus besoin sera aussi discuté, ainsi que la nécessaire complémentarité entre action et financement climat et nature.