Le constat est édifiant : 200 millions de femmes dans le monde ont des besoins non satisfaits en contraceptifs, ce qui entraîne des complications liées à la grossesse ou à l’accouchement et des avortements dangereux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime ainsi à plus de 1,8 million le nombre d’avortements non sécurisés pratiqués chaque année. En cause, le manque de moyens, de liberté de choisir ou de disponibilité des produits, mais aussi le défaut d’information. L’éducation à la santé sexuelle et reproductive est donc un enjeu de santé publique majeur, particulièrement chez les jeunes.
Au Niger, 50 % des femmes de 18 ans ont au moins un enfant. Le projet Jades (Jeunes et adolescents en santé) mené par l’ONG Solthis et cofinancé par l’AFD a ainsi pour objectif d’améliorer l’accès à une information de qualité sur la santé sexuelle et reproductive.
« Ces questions sont très sensibles à cause de la religion et de la tradition, nous travaillons dans un contexte difficile. Même si l’État et ses partenaires font beaucoup d’efforts en faveur de la santé sexuelle et reproductive des jeunes et des adolescents, celle-ci n’est pas toujours prise en compte dans certaines communautés et même dans certaines structures scolaires et sanitaires », explique Maiga Maimouna Almoctar, technicienne supérieure en santé de la reproduction au Centre national de référence pour jeunes de Boukoki de Niamey.
Dans ce centre, les jeunes sont accueillis et conseillés sur des sujets qu’ils ne peuvent évoquer auprès de leurs proches. « Il n’y a pratiquement pas de dialogue entre les parents et leurs enfants » sur la sexualité, déplore Maiga Maimouna Almoctar. D’où l’importance des pairs pour toucher les jeunes.
Depuis 2016, un consortium d’ONG composé de Solthis, spécialisée dans la prévention et l’accès aux soins, de Lafia Matassa, organisation nigérienne de promotion de la santé, et d’Equipop, dédiée aux droits et à la santé des femmes, agit pour sensibiliser les jeunes.
L’enjeu de la confiance pour informer
Dans ce pays où 70 % de la population a moins de 25 ans, Lafia Matassa et Solthis ont développé un réseau de « techniciens et techniciennes » âgés de 15 à 24 ans, dont le rôle est de sensibiliser leurs camarades sur les infections sexuellement transmissibles, les violences basées sur le genre et la contraception.
« Avant le projet, je n’avais pas réellement de connaissances là-dessus », explique Soureiya Siradji Moustapha, 20 ans, ambassadrice du projet à Niamey. « Durant les formations, on nous a montré différentes méthodes comme l’implant, le stérilet ou le préservatif, ainsi que les avantages et inconvénients de chaque méthode, pour pouvoir orienter nos pairs. »
Lire aussi : En Tunisie, faciliter l’accès à l’eau et l’émancipation des femmes
La jeune femme s’implique depuis qu’elle a 16 ans dans des interventions auprès de ses camarades d’école pour diffuser une information fiable. « Au début, ils étaient réticents, se souvient-elle. Maintenant, ils viennent vers nous. On fait tout pour leur montrer qu’ils peuvent avoir confiance, que nous ne sommes pas leurs parents ou leurs tantes. On travaille en binôme, une fille et un garçon », pour faciliter le dialogue et aider à franchir la porte des centres de santé.
« Il y a beaucoup de centres mais malheureusement l’information ne passe pas, donc nous devons pallier ce manque », insiste Medji Habsatou, 22 ans. Ambassadrice à Maradi, la jeune femme déplore également des horaires parfois peu adaptés, puisque « les centres sont ouverts aux heures où les jeunes sont à l’école ».
Des besoins accrus
Depuis 2020, la crise sanitaire liée au Covid-19 a de surcroît entraîné la fermeture ou le ralentissement du fonctionnement de nombreux centres de santé sexuelle et reproductive. La fragilisation des chaînes d’approvisionnement a provoqué des ruptures de stock en contraceptifs dans le monde.
Privés de lieux de convivialité, les échanges mis en place par les ambassadrices à Niamey et Maradi ont désormais lieu sur WhatsApp. Les jeunes s’y retrouvent pour des rendez-vous hebdomadaires au cours desquels elles et ils peuvent poser librement leurs questions et être orientés vers des centres de santé.
D’après le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), les perturbations des services de planification familiale liées au Covid-19 ont impacté environ 12 millions de femmes dans le monde. Toujours selon l’UNFPA, ces perturbations ont provoqué 1,4 million de grossesses non désirées. Par ailleurs, les couvre-feux instaurés dans beaucoup de pays ont renforcé le contrôle social sur les femmes, complexifiant l’accès à une méthode contraceptive.
« En tant qu’agence féministe, ce constat nous oblige à une action renforcée à l’international pour l'égalité entre les femmes et les hommes, et pour aider les femmes à disposer de leur corps, estime Mar Merita Blat, experte genre à l’AFD. Ainsi, le groupe AFD propose différents projets qui s’insèrent dans une logique transformatrice en matière de droits et santé sexuels et reproductifs, illustrés dans une plaquette et un recueil de bonnes pratiques dédiés. Ces projets s’inscrivent dans le cadre des engagements de la France au Forum Génération Égalité sur les droits et santé sexuels et reproductifs. »
Plus d’agents, pour plus de résultats
Une diffusion visuelle de l’information essentielle rappelle Amina, de l’ONG Lafia Matassa : « Solthis a mis à disposition des flyers où les différents centres de santé et les prestations qu’ils fournissent sont bien décrits, précisant que les agents sont formés pour discuter de toutes ces difficultés. »
C’est le cas de Maiga Maimouna Almoctar, la technicienne du centre de santé Boukoki à Niamey. Si l’agente se félicite d’un accès à la contraception répandu chez les jeunes qu’elle reçoit dans son centre, elle rappelle également que l’engagement pris par le Niger d’atteindre « une prévalence contraceptive de 50 % dans son plan de planification familiale arrive à terme en 2021. » Or, l’objectif est selon elle encore loin d’être atteint. Il passera par le « renforcement de capacités pour tous les agents de santé ».
Cet enjeu est au cœur de la seconde phase du projet Jades mené par Solthis. Celle-ci propose un travail sur « les représentations des soignants en matière de santé sexuelle, de genre, de violence, ainsi que des formations sur la contraception, la prise en charge du VIH et les soins post-avortement », explique Mélanie Vion, responsable de projet de l’ONG. Ce second volet s’achèvera en 2022.
Lire aussi : Au Kenya, les femmes enfilent les gants de boxe