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MacroDev Panorama
Les crises successives que connaît le monde ces dernières années affectent sensiblement les cours des matières premières. Le troisième numéro du « MacroDev Panorama » revient sur la hausse des prix observée depuis mi-2020 et son impact sur les économies des pays en développement, dans un contexte de transition bas-carbone plus que jamais nécessaire.

Alors que de nombreux pays émergents et en développement (PED) pansent encore les plaies causées par la pandémie de Covid-19, l’escalade du conflit russo-ukrainien vient remettre en cause la reprise observée en 2021. La publication semestrielle MacroDev Panorama des Éditions Agence française de développement (AFD) présente une synthèse d’analyses macroéconomiques et socio-économiques pour comprendre les enjeux de la situation actuelle. Retour sur cinq points d’intérêt.


 
MacroDev - Panorama semestriel 2022 #2
Les économies émergentes et en développement, de Charybde en Scylla
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1Une hausse généralisée des cours des matières premières depuis mi-2020

Dès l’été 2020, la tendance à la hausse des cours des matières premières est venue contrebalancer la nette baisse observée au début de la crise liée au Covid-19. Entre juillet 2020 et décembre 2021, l’indice des prix de l’énergie de la Banque mondiale a ainsi bondi de 132 %. Dans le même temps, celui des métaux a enregistré une hausse de 58 % et celui des produits alimentaires de 44 %.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie est venue accentuer cette tendance de fond. En effet, le bouleversement des chaînes d’approvisionnement physiques et l’application de sanctions internationales à l’encontre de la Russie ont contribué à faire croître les prix de l’énergie de 43 % et ceux des produits alimentaires de 25 % entre janvier et mai 2022.

En deux ans, le cours du pétrole a ainsi presque quadruplé, celui du charbon a été multiplié par 7 et celui du gaz européen par près de 19. Le cours du blé, qui avait déjà connu une augmentation significative en 2021, a encore doublé sur les cinq premiers mois de 2022. Pour ce qui est des métaux, les cours du lithium, du cobalt et du nickel, notamment essentiels dans la production de batteries électriques, ont plus que doublé sur la période.

 

2Des variations de prix à relativiser néanmoins

Si la tendance à la hausse des cours paraît spectaculaire, ces variations sont néanmoins à relativiser en prix constants ou valeur réelle, c’est-à-dire en corrigeant l’impact de l’inflation.

Ainsi, en termes nominaux (sans l’impact de l’inflation), les prix du pétrole n’avaient pas connu une telle envolée depuis le choc de 1973 et ceux des produits alimentaires depuis la crise de 2008-2009. En termes réels cependant, seuls le gaz européen et le charbon ont battu leurs records de 2008 (+50 % et +30 % respectivement). Le pétrole, lui, reste 40 % inférieur à son pic réel de 2008. Le blé et le cuivre sont respectivement 70 % et 31 % inférieurs par rapport à leurs plus hauts de 1973-1974.

 

3Conséquences macroéconomiques

Les principaux gagnants seront sans surprise les exportateurs d’hydrocarbures : l’Angola, l’Indonésie, le Tchad, les pays du Golfe, le Venezuela, le Congo ou encore l’Azerbaïdjan, le FMI s’attendant à des excédents courants dépassant 10 % du PIB, voire plus (Congo : 26 %, Azerbaïdjan : 37 %).

En revanche, pour les producteurs de métaux industriels comme le Chili (cuivre, lithium), le Pérou (cuivre, zinc) ou les Philippines (nickel), les gains d’exportations ne seront pas suffisants pour compenser le surcoût d’importations. Les principaux perdants du choc en cours étant, comme souvent, les petits états insulaires déjà lourdement touchés lors de la crise du Covid-19.


Revoir le webinaire MacroDev du 22 septembre 2022 (en anglais)


Autre conséquence directe de la hausse des cours des matières premières : l’inflation galopante partagée par les PED et les économies avancées. Avec des records jamais vus depuis quarante ans aux États-Unis et trente ans en Europe de l’Ouest, le choc inflationniste devrait toucher la quasi-totalité des économies du globe. Le FMI a ainsi révisé sa prévision d’inflation mondiale de 3,8 % à 7,4 %, entraînant une hausse des taux généralisée et faisant planer le spectre de troubles sociopolitiques dus à l’érosion du pouvoir d’achat.

 

4L’insécurité alimentaire remise en lumière

La Russie et l’Ukraine comptent parmi les plus gros exportateurs mondiaux de blé, de maïs, d’orge, de colza et d’huile de tournesol. Or, la FAO estime que le conflit en cours entraînera une perte de 20 à 30 % de la production céréalière ukrainienne pour la saison 2022-2023. Un risque élevé de pénurie pèse donc sur plusieurs pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, qui dépendent à plus de 50 % de cette source d’approvisionnement. En outre, la dépendance aux importations d’engrais russes devrait également réduire les productions agricoles locales, amplifiant d’autant le choc d’offre.

Pour protéger les stocks domestiques, plusieurs pays ont donc mis en place des restrictions aux exportations. Mais ces restrictions pourraient s’avérer contre-productives, faisant mécaniquement augmenter les prix par une contrainte de l’offre mondiale et nourrissant encore davantage l’inflation, qu’elles sont censées amortir.
Ce constat est cependant à relativiser. Pour une majorité de PED, la part du blé dans l’alimentation n’excède pas 15 % et le recours à des produits de substitution peut participer à l’équilibrage de la situation.

 

6Impact sur la transition énergétique

Avec la crise actuelle, les États se retrouvent face à un dilemme difficilement soluble. La situation invite en effet à repenser les modes de consommation et d’approvisionnement en matières premières afin d’accélérer la transition bas-carbone. Les États qui réalisent actuellement des profits exceptionnels pourraient tirer parti de ces gains supplémentaires pour s’engager plus avant dans la transition énergétique. Ceux qui dépendent trop des ressources extérieures pourraient profiter de la conjoncture pour investir massivement dans les énergies renouvelables, réduisant ainsi leur dépendance.

Le paradoxe vient premièrement du fait que ce changement souhaitable de paradigme nécessite lui-même un recours massif aux matières premières, dont les cours sont déjà sous tension. La transition devrait en effet engloutir des quantités énormes de matières premières, notamment des métaux dits « de la transition » : cobalt, cuivre, lithium, nickel et terres rares. D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pour atteindre les objectifs de lutte contre le changement climatique d’ici 2040, la consommation de lithium devrait ainsi être multipliée par 40, celle de nickel et de cobalt par 20.

Par ailleurs, de nombreux pays vont traverser une période de tension en matière de ressources budgétaires publiques et de capacité d’investissement privé, en particulier mais pas seulement les pays dépendants de ressources extérieures dont le coût augmente. Cela limitera fortement leur capacité à entamer cette transition, très consommatrice en capital.

Dans ce contexte, et face à l’urgence climatique, une action internationale coordonnée semble plus que jamais nécessaire. L’annonce par l’AIE, en mars 2022, de l’élargissement de ses mandats au soutien à la transition bas-carbone pourrait être un premier pas dans cette direction.