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arbre liane Afrique
Le modèle de gestion forestière responsable soutenu par l’AFD est-il efficace pour défendre les forêts et les populations qui en dépendent dans le bassin du Congo ? Éléments de réponse avec Patricia Aubras, directrice régionale Afrique centrale à l’Agence française de développement.

Patricia Aubras AFDQuelle forme prend l’engagement de l’AFD en faveur des forêts du bassin du Congo ?

Patricia Aubras : L’Afrique centrale, second massif forestier tropical mondial après le bassin amazonien, abrite 20 % des forêts tropicales mondiales et une biodiversité unique, très diverse et encore assez méconnue. La préservation de cette biodiversité est pour nous une priorité. Dans notre stratégie régionale, un axe essentiel est consacré à la valorisation du patrimoine écologique de la région, à travers des soutiens qui favoriseront la mise en valeur de ce bien commun et contribueront ainsi à un plus juste équilibre entre son exploitation et sa protection.

La gestion durable et équitable de ces forêts est un enjeu de taille pour la région, ainsi qu’à l’échelle mondiale. Dans le bassin du Congo, l’équilibre est précaire. Il est aujourd’hui fragilisé par l’éclatement des domaines forestiers, dû à l’exploitation humaine, par la faiblesse dans l’application des cadres réglementaires relatifs à la protection des écosystèmes, ainsi que par le changement climatique. Une récente publication dans Science l’illustre : les éléphants frugivores du Parc national de la Lopé au Gabon meurent de faim, la production de fruits dont ils se nourrissent a chuté de près de 80 % en trente ans.

Notre engagement nous conduit à mettre en avant les meilleures pratiques connues à ce jour, à accompagner les politiques publiques, en soutenant un aménagement responsable et soutenable des territoires forestiers qui permette de concilier nature, climat et développement. Entre 2012 et 2021, l’AFD a engagé 260 millions d’euros en appui à des projets directement liés à la protection des forêts et de la biodiversité en Afrique centrale, en subventions, en prêts ou en délégations de fonds. Au fil des années, l’AFD est devenue un acteur central du dialogue entre gouvernements, organisations professionnelles et ONG environnementales.

Le modèle de gestion forestière responsable soutenu par l’AFD est-il aujourd’hui adapté à la défense de ces forêts ?

P. A. : Oui, car l’objectif de cette stratégie est de limiter et de rendre soutenable l’emprise de l’homme sur la forêt. Elle consiste à soutenir les exploitants qui s’engagent à respecter un plan d’aménagement forestier conforme à la réglementation en vigueur, c’est-à-dire qui participe au renouvellement de la ressource bois et à la protection des zones naturelles sensibles. Il s’agit de soutenir une exploitation qui ne détruit pas les écosystèmes et qui préserve les nombreux services que la forêt nous rend : production d’oxygène, stockage du CO2, alimentation, eau, bois…

De cette façon, nous encourageons la filière à faire évoluer ses pratiques tout en luttant contre la concurrence déloyale des exploitants moins scrupuleux. L’objectif, à terme, est d’orienter les entreprises forestières vers un processus de certification leur permettant d’obtenir un label de bois durable, comme FSC ou PEFC. Le bilan de notre intervention sur les vingt dernières années sur le bassin du Congo relate que sur les 50 millions d’hectares de concessions forestières, 30 millions sont sous aménagement, 5,4 millions sont éco-certifiés FSC/PEFC et 1,2 million certifiés légalement. Les pays d’Afrique centrale sont les plus avancés et historiquement les plus engagés des pays forestiers tropicaux sur la question.


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Nous prônons aussi une meilleure gouvernance du secteur, et nous soutenons pour cela les États qui ne disposent pas encore de cadre réglementaire suffisant pour préserver leurs forêts. Ces dix dernières années (2010-2020), la perte nette annuelle de superficie forestière a été plus importante en Afrique que partout ailleurs dans le monde et cette perte est en constante augmentation. La gestion durable est un des instruments les plus efficaces à la portée de bailleurs comme l’AFD pour maintenir les forêts du bassin du Congo.

Pourquoi les États et les concessionnaires ont-ils tout à gagner à associer davantage les populations locales et les peuples autochtones ?

P. A. : C’est un point essentiel si nous voulons que les programmes de protection et de conservation aient de l’impact. La participation et l’implication effective des populations locales et des peuples autochtones est une condition indispensable pour assurer la gestion durable des forêts. Il est de l’intérêt des gouvernements et des concessionnaires de mobiliser leurs savoirs pour rendre leurs pratiques plus efficaces et soutenables. Il faut qu’il y ait de l’adhésion au niveau local. 

Ces groupes prélèvent des ressources dans la forêt pour cuisiner, se chauffer, se loger, se soigner, mais ils ont toujours protégé ces milieux et sont les plus à même d’aider à la poursuite de cet effort. Ces populations ont acquis une expertise sociale considérable. Ils sont capables d’effectuer une évaluation efficace concernant les changements positifs et négatifs affectant leur environnement et de proposer des mesures efficaces de préservation et de gestion.

Ces populations ont aussi des droits historiques sur les territoires qu’elles occupent et, à ce titre, elles sont légitimes pour prétendre à une part des services rendus par les écosystèmes forestiers. Il n’est pas envisageable de mettre toute la forêt sous cloche. À l’AFD, nous prônons une meilleure répartition de la richesse issue de l’exploitation forestière et un appui en parallèle aux programmes de conservation de la biodiversité dans le réseau d’aires protégées d’Afrique centrale. 

Au nord de la République du Congo, nous appuyons l’État congolais, les communautés locales, les populations autochtones, les opérateurs forestiers responsables et la Wildlife Conservation Society dans une approche territoriale visant à améliorer les pratiques forestières, protéger la biodiversité et promouvoir un développement résilient et un partage plus équitable de la rente forestière.