« La Terre n’arrive plus à nous nourrir convenablement » constate, ce jeudi 13 février au siège de l’AFD, l’ancien ministre de l’Agriculture et ambassadeur du Sénégal, Papa Abdoulaye Seck. Le modèle de l'agriculture conventionnelle a montré ses limites, et les enjeux se situent aussi dans l’interdépendance des systèmes alimentaires africains et européens.
Des systèmes alimentaires défaillants
Pour Christophe Chauveau, directeur général d’AVSF (Agronomes et vétérinaires sans frontières), la notion de système alimentaire désigne des « systèmes agricoles incluant différents modes de production, de distribution et de consommation. » Ces réseaux, qui permettent de produire et de transformer les aliments afin de nourrir les habitants d’un territoire donné, doivent selon lui être repensés : « le système conventionnel produit trop, nourrit mal et détruit l’environnement. »
Pour l'agronome, la transformation des systèmes alimentaires implique de passer d’une production productiviste, ayant recours à des engrais de synthèse et des produits phytosanitaires, à un système plus vertueux, économe en eau et limitant les risques de pollution chimique. Pour répondre à ces enjeux, il est nécessaire d'investir davantage dans la transition vers l'agroécologie qui, selon Patrick Caron, chercheur au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), propose « un changement de paradigme en ce qui concerne les manières de produire, mais aussi de consommer les produits alimentaires, en tenant compte d’enjeux multiples : environnement, climat, santé publique, justice sociale… »
En effet, l’agro-industrie contribue à la dégradation des sols et à la perte de biodiversité. Selon les rapports du Giec, le secteur de l'Agriculture, foresterie et autres usages des terres (AFOLU) est responsable d'environ 23 % des émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre en termes d'équivalent CO₂. C’est aussi l’un des secteurs les plus directement touchés par les changements climatiques, mais qui peut toutefois contribuer efficacement à l'atténuation et à l'adaptation de ces changements.
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Des systèmes alimentaires interdépendants
« Nous devons façonner des échanges mondiaux plus équitables. » Pour Christophe Chauveau, l’Europe contribue à la malnutrition du continent africain, en y exportant des produits alimentaires de mauvaise qualité. À l’inverse, les normes environnementales européennes, trop exigeantes, pénalisent l'accès au marché européen des produits agricoles issus des exploitations familiales africaines. « Ces normes ont induit la mise en place d’un système de traçabilité complexe et coûteux, que nous ne voulons pas payer en tant que consommateurs européens. Ce sont donc les coopératives de petits producteurs africains qui en assument le prix. »
Des préconisations émergent afin de repenser ces partenariats entre systèmes alimentaires africains et européens : associer les consommateurs aux débats, investir dans les chaînes de valeur, soutenir les initiatives régionales ou encore renforcer les partenariats entre les organisations de la société civile africaines et européennes.
Accompagner les transformations des systèmes alimentaires
AVSF accompagne des ONG locales dans leurs actions de plaidoyer, afin d’encourager des politiques publiques soutenant la transition agroécologique et reconnaissant le rôle des exploitations agricoles familiales dans les filières. À l'instar d'AVSF, le Cirad accompagne des paysans dans cette transition. Comme le souligne Patrick Caron, « la transformation des systèmes alimentaires consiste en un renouvellement à la fois technique et institutionnel : il s’agit de construire un environnement national et international incitatif, qui favorise les systèmes alimentaires sains et durables et pénalise ceux qui ne le sont pas. »
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Le groupe AFD soutient également de nombreuses initiatives de changements vers des systèmes alimentaires plus vertueux. C’est le cas du projet Paolao (Projet d’appui à l’offensive lait local d’Afrique de l’Ouest), qui s’inscrit dans l’appui à la stratégie agricole régionale de la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). Il vise à développer la filière lait local, actuellement mise à mal par les importations européennes de lait en poudre. « L’enjeu est non seulement de favoriser le circuit court et d’arrêter d’importer une poudre enrichie en matière grasse végétale que la réglementation européenne ne considère même pas comme du lait, mais aussi de faire un travail sur les enjeux de production et de collecte de lait, d’alimentation du bétail ou de valorisation des produits », précise Jean-René Cuzon, responsable d’équipe projet au sein de la division Agriculture, développement rural et biodiversité de l’AFD.
Une transition vers des systèmes alimentaires plus vertueux passe également par la formation. Ainsi, le groupe AFD appuie depuis 2008 les autorités camerounaises dans la formation et le conseil aux agriculteurs, dans le cadre des projets Afop (programme d’appui à la rénovation et au développement de la formation professionnelle dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche) et Acefa (programme d’amélioration de la compétitivité des exploitations familiales agropastorales). « L’objectif est de faire évoluer ces dispositifs de formation et de conseil, historiquement basés sur l'agriculture conventionnelle, avec une promotion des intrants chimiques notamment, vers des solutions agroécologiques » explique Jean-René Cuzon. Ces deux projets, qui ne connaissent d’équivalents dans aucun autre pays de la région, a déjà formé près de 22 000 jeunes, dont 40 % de femmes. Parmi ces jeunes, 5 000 sont devenus agriculteurs.
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L’investissement du secteur privé dans la transition agroécologique est l’une des pistes soutenues par le groupe AFD. Par exemple, le groupe agro-industriel ivoirien Sifca bénéficie d’une assistance technique et de financements de la part de Proparco afin de construire une stratégie de développement durable veillant au respect des normes environnementales et sociales. Parmi ses initiatives, Sifca met en œuvre des projets pour assurer la souveraineté alimentaire des petits producteurs avec lesquels elle collabore. Ces projets incluent l’accès à l’eau potable, à l’électricité, et l’assurance que les enfants de ces petits producteurs puissent aller à l’école.
La nature de la relation partenariale entre l'Afrique et l'Europe doit encore évoluer, comme le souligne Bertrand Walckenaer, directeur général adjoint de l’AFD : « nous devons interroger notre positionnement, s’agit-il de projeter notre vision française sur les projets de développement ou bien de faire suffisamment confiance à nos partenaires pour accepter que notre vision ne soit pas la plus efficace, car nous ne connaissons sans doute pas autant qu’eux le climat, les acteurs locaux et leur histoire ? » Le groupe AFD souhaite continuer à s’inscrire « du côté des autres ».
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