Les Haïtiennes qui vivent en milieu rural sont confrontées à de nombreuses difficultés. Selon la 6e enquête Mortalité, morbidité et utilisation des services (Emmus VI), 20 % d'entre elles n’ont reçu aucune instruction, contre 6 % en milieu urbain. Elles ont un accès très limité aux services sociaux de base, comme l’éducation, la santé, la protection sociale ou la mobilité, et parviennent moins facilement à trouver un emploi.
La vie de ces femmes ne se résume pourtant pas aux obstacles qu'elles rencontrent. Quatre agricultrices qui résident dans des sections communales du sud d’Haïti témoignent.
À 23 ans, Yayoune mène de front des études en soins infirmiers, des activités agricoles, commerciales et d’élevage. Grâce à ses revenus agricoles, elle a pu s’acheter son propre lopin de terre, qu’elle cultive avec l’aide de son fiancé.
Son histoire fait écho à celle de Manouchetha qui, après des études en droit et en communication, a quitté Port-au-Prince pour s’installer dans la section communale de Nicolas, à Aquin. Aujourd’hui, elle récolte les fruits de plusieurs années de dur labeur. Tout en gérant plusieurs exploitations agricoles, elle est propriétaire d’un restaurant, d’un salon de beauté et d’un commerce de produits cosmétiques. Elle est aussi à la tête d’un élevage de caprins et de bovins. De même, Estania et Guerlande associent le commerce et l’élevage au travail de la terre.
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Travailler la terre pour être libres
Toutes passionnées par le travail de la terre, ces femmes cultivent par choix. « Avant mon retour à Nicolas, je ne connaissais rien à l’agriculture, explique Manouchetha. Aujourd’hui, j’aime travailler la terre. » Ses mots résonnent avec ceux de Guerlande, qui exprime avec force le sentiment de liberté que lui procure l’agriculture : « Quand tu travailles pour les autres, tu dépends d’eux. Malgré les difficultés, le travail de la terre me laisse libre. J’en suis fière ! »
Yayoune et Estania, quant à elles, ont l’habitude de contempler leurs terres qu’elles trouvent très belles à certaines périodes. « Je publie parfois des photos de mes champs sur les réseaux », confie Yayoune, fidèle représentante de la génération Z.
Lorsque l’on parle d'émigration, plusieurs admettent pourtant qu’elles partiraient si elles en avaient la possibilité. « Mais dans de bonnes conditions, avec toute ma famille », temporise Guerlande. « Si je pars, indique Yayoune, j’aimerais avoir la possibilité de poursuivre le travail de la terre, comme l’un de mes voisins qui vit actuellement au Canada. » Quant à Manouchetha, ses projets d’avenir sont sans équivoque. Son rêve est de créer une grande ferme agricole à Nicolas : « À moins que l’insécurité n’atteigne la province, je resterai chez moi pour travailler la terre. » Toutes sans exception témoignent de leur attachement au pays : « J’aime beaucoup Haïti », sourit Guerlande.
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Un potentiel à accroître
Certains obstacles entravent néanmoins bel et bien leur travail quotidien : le manque d’accès aux services publics, les pertes de revenus liées à la versatilité du climat, le manque d’argent ou encore la fatigue physique. Tout appui leur est donc utile. Comme rapporté par Guerlande, les semences et les caprins reçus dans le cadre du Projet d’appui à l’irrigation dans le Sud (Pais), financé par l’AFD, lui ont permis d’augmenter ses revenus, d’épargner et de régler deux ans d’arriérés de scolarité pour sa fille. Grâce à la subvention reçue, Yayoune n’est plus dans l’obligation de vendre du bétail pour avoir recours à des services de labourage. Ayant reçu des caprins de Pais, Manouchetha a pu agrandir son cheptel. Estania, quant à elle, raconte que les travaux de réhabilitation de canaux réalisés dans le cadre du Pais permettront de résoudre son principal problème : l’accès à l’eau.
Dans les mains de chacune de ces femmes gît donc un potentiel qui ne demande qu’à croître. L’appui de 13 millions d’euros de l’AFD au ministère de l’Agriculture haïtien, dans le cadre du projet Pais, vise ainsi l’amélioration de la production agricole dans le sud d’Haïti. « L’agriculture fait partie de l’ADN de l’AFD, soutient Radhia Oudjani, directrice de l’AFD en Haïti, tout comme désormais le soutien à une approche plus féministe du développement. C’est une priorité pour l’AFD de soutenir ces femmes rurales qui souhaitent développer leurs activités et s’épanouir, elles sont un pilier de l’agriculture en Haïti. »