En tant que système de domination, le genre contribue à structurer les processus de gouvernance et d’allocation des ressources – un sujet qui est au cœur de la question des communs. Cette étude s’intéresse donc aux liens entre les deux concepts, afin de dessiner les conditions d’une approche des communs au prisme du genre.
Contexte
Depuis plus d’une décennie, l’étude des communs et leur mise en avant par les mouvements sociaux ont connu un remarquable essor. Les bases en avaient été fixées par Garrett Hardin en 1968 dans son article sur « la tragédie des biens communs », qui posait que seule la privatisation ou la nationalisation d’une ressource commune en accès ouvert pouvaient permettre d’en tirer profit tout en assurant son renouvellement. En démontrant que d’autres modalités de gouvernance et d’arrangements/agencements institutionnels à partir des communautés d’usagers de ces ressources étaient possibles, Elinor Ostrom a ouvert la voie à des articulations possibles avec d’autres champs (écologie, numérique) et d’autres enjeux (changement climatique, normes et interactions sociales).
Interrogeant les frontières entre sphère privée et publique, les définitions de la propriété, la gestion et le partage des ressources ou encore le rôle des communautés et des savoirs traditionnels, la discussion autour des communs ne pouvait manquer d’interroger également les travaux sur le genre mais aussi les points de vue et les pratiques féministes. Celles-ci ont ainsi enrichi les approches théoriques et programmatiques des communs. Souvent critique, cet apport n’a cependant pas débouché sur une articulation conceptuelle cohérente, ni sur un véritable aggiornamento des différentes approches des communs au prisme du genre.
Ce projet de recherche s’inscrit dans le cadre du programme de recherche de l'AFD sur les communs.
Objectif
A partir d’une revue systématique des productions académiques consacrées aux communs dans les domaines de l’économie, de la sociologie et des sciences politiques dans une perspective de droits humains en particulier, l’étude visait à dessiner les conditions de possibilité d’une approche des communs au prisme du genre.
Il s'agissait d’appliquer une approche par le genre au triptyque présentant les composantes des communs (ressource, communauté, règles), ainsi qu’aux caractéristiques majeures des communs (action collective, propriété, répartition de la valeur). Cette approche visait à mettre en évidence en quoi le genre, comme système de domination, contribue à structurer les processus de gouvernance et d’allocation des ressources.
Il s’agissait également, sur la base des travaux réalisés, de considérer comment sont satisfaits (ou non) les droits à l’existence des femmes et des hommes, leurs besoins pratiques (amélioration des conditions de vie) ainsi que leurs intérêts respectifs dans l’optique de la réduction des inégalités femmes-hommes. A cet égard, une attention particulière a été portée à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) relatifs aux communs et à l’égalité des sexes et à leurs éventuelles contradictions. Dans cette perspective, l’ensemble des activités associées au soin à autrui (care), abondamment traitées dans une perspective de genre, ont fait l’objet d’une attention spécifique, dès lors que des liens étroits étaient susceptibles d’être dégagés entre les modalités d’organisation sociale du soin aux personnes (enfants, personnes malades, personnes âgées et/ou dépendantes…) et celles encadrant la gestion des communs, environnementaux notamment.
Méthode
L’OFCE a proposé un dispositif pour la sélection du corpus étudié pour la réalisation de cet état de l’art et son analyse critique. Les questions de recherche ont été posées sous différents angles : l’économie féministe, l’histoire des communs, l’éco-féminisme et les perspectives féministes sur les communs.
L'OFCE a prolongé ce travail via deux études de cas permettant d’illustrer à la fois :
- les limites actuelles de l’articulation entre genre et communs,
- les perspectives qu’est susceptible d’ouvrir une approche critique au prisme du genre de leur définition et des discours qui leur sont associés, en particulier sur le terrain des politiques de développement.
En déployant par exemple une approche sous l’angle du care (et de sa critique), ces études de cas sont susceptibles d’aborder de manière croisée des pratiques autour de la gestion de communs différents : ressources naturelles mais aussi numériques, services fondamentaux à la communauté, etc.
Résultats
Le projet de recherche a débouché sur trois livrables :
- Un rapport d’étude restituant l’état de l’art, les choix méthodologiques opérés et le résultat de l’analyse. Ce rapport esquisse des propositions de recherche complémentaires et une série de recommandations et autres points d’attention qui pourront alimenter les réflexions stratégiques en cours à l’AFD.
- Deux notices permettant d’illustrer de manière plus fine l’intérêt d’une approche critique au prisme du genre pour la (re)définition des communs : « L’eau, un commun unique en son genre ? » et « Les communs urbains au prisme du genre »
Un webinaire « Conversation de recherche » a également été organisé :
Enseignements
La littérature associant perspective de genre et réflexion sur les communs n’est pas nouvelle, mais reste insuffisamment explorée. Elle est hétérogène et est analysée ici selon un double champ : académique et analytique d’une part ; normatif et engagé d’autre part.
Les communs ne sont pas exempts de formes d’oppressions. L’agenda de recherche reste ouvert : plus de travaux empiriques sont requis pour comprendre les processus de recomposition des hiérarchies au sein des communs ainsi que les modes de résistances de la part des groupes oppressés.
Ce travail bibliométrique ouvre la voie d’une analyse de la littérature grise produite par les agences et bailleurs pour le développement pour saisir comment les croisements des littératures académiques sur le genre et les communs influencent les pratiques de ces acteurs. Dans cette optique, la grille de lecture proposée pourrait être adaptée pour identifier des cadres discursifs et normatifs d’action (policy frames).
Sans prétendre à l’exhaustivité, ce rapport démontre l’extraordinaire fécondité d’une approche croisée du genre et des communs pour aborder les transitions majeures de notre temps (environnement, démographie, numérique).
Afin d’esquisser les contours d’une approche transformative du genre et des communs, deux études complètent ce rapport : l’une est dédiée aux communs urbains et l’autre aux communs environnementaux sous l’angle des changements climatiques.
Pour en savoir plus, téléchargez les papiers de recherche issus du projet :
Contacts :
- Hélène Périvier, économiste à l’OFCE
- Maxime Forest, politiste à l’OFCE
- Stéphanie Leyronas, chargée de recherche à l’AFD
- Serge Rabier, chargé de recherche à l'AFD
Dans les territoires palestiniens, l’eau, en tant que ressource qui circule, est partagée entre plusieurs acteurs, y compris au niveau local. Mobilisant la notion de communs, ce programme de recherche a visé à comprendre la gouvernance de la ressource en eau en Palestine et la façon dont il est possible d’articuler les droits des différents usagers pour élaborer une gouvernance délibérative et équitable.
Contexte
Les bailleurs internationaux sont intervenus massivement dans les Territoires palestiniens depuis 1994. Une grande partie de ces financements ont permis la mobilisation de nouvelles ressources en eau et une augmentation de l’efficience de l’utilisation de l’eau dans un territoire aride. Ils ont supposé que les accords d’Oslo et la loi palestinienne de l’eau reflétaient la réalité de la gestion de l’eau.
Or, l’introduction de principes nouveaux à travers les accords d’Oslo et une gestion nationale de la ressource par l’Autorité palestinienne de l’eau (Palestinian Water Authority - PWA) a fragilisé les normes sociales qui régissaient le fonctionnement des gouvernances traditionnelles. De là sont nées des situations locales complexes où s’exercent différents registres de reconnaissance de droits d’accès à la ressource.
Il importe donc de comprendre comment chacune des trajectoires suivies par l’eau puisée dans un réservoir commun, qu’il s’agisse d’un puits ou d’une source, s’insère dans des faisceaux de droits et la manière dont ces faisceaux de droits sont aujourd’hui affectés par les projets financés par les bailleurs de fonds : qui s’est approprié l’eau rendue disponible par ces projets ? Selon quelles modalités ? Qui l’a perdue ?
Objectif
Ce programme de recherche s'est focalisé sur la dimension politique de la construction et de la transformation de communs. Il a cherché à comprendre la gouvernance actuelle des « paracommuns » de l’eau en Palestine, le terme « paracommuns » désignant les gains matériels potentiels issus de l’amélioration de l’efficience de systèmes puisant dans un réservoir commun de ressource naturelle, telle que l’eau. Le programme examine également comment on peut atteler les faisceaux de droits existant au sein des communs de l’eau pour en élaborer une gouvernance délibérative et équitable.
Il poursuit quatre objectifs :
- Quantifier les consommations d'eau nécessaires à la production des produits agricoles palestiniens en fonction des faisceaux de droits régissant l’eau ;
- Analyser la façon dont les trajectoires matérielles et institutionnelles de l’eau considérée comme « épargnée » grâce aux projets d’infrastructures visant à réduire les fuites dans les réseaux ont été modifiées ;
- Examiner la façon dont l’efficience est conçue au sein de chaque projet et par les différents utilisateurs, la façon dont ces utilisateurs mettent en avant des faisceaux de droits bien particuliers pour légitimer leur appropriation de la ressource et la façon dont les faisceaux de droits existants sont affectés par les projets ;
- Explorer les manières dont les changements dans la gestion d’irrigation ont pu améliorer l’efficience de l’utilisation de l’eau et qu’elles en ont été les effets.
Méthode
Le programme a comporté trois types de séminaires : des séminaires avec les membres du programme, des séminaires de recherche et des « séminaire de recherche action » qui ont associé, en sus des chercheurs, les agriculteurs des zones étudiées, des membres de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), des membres d’ONG agricoles palestiniennes, ainsi que des membres du ministère de l’Agriculture palestinien et de la PWA.
Le travail de terrain, très conséquent, s’est essentiellement déroulé au cours des 24 premiers mois du programme. Les terrains ultérieurs ont été réalisés pour trianguler les résultats obtenus par la métrologie, la cartographie et les enquêtes qualitatives. La diffusion des résultats a été réalisée par les publications, les séminaires et des panels organisés dans des conférences internationales.
Résultats
Le programme a permis la publication de plusieurs articles dans des revues à comité de lecture : Geoforum, Journal of Political Ecology, Environment and Planning E : Nature and Space, International Journal of Water Resources Development.
De nombreuses interventions ont eu lieu en lien avec le programme, et notamment :
- La 12ème conférence internationale de l’AFD sur le développement en 2016 sur la thématique « Communs et développement » ;
- La semaine mondiale de l’eau de Stockholm (Stockholm World Water Week) en 2017 ;
- Le premier Forum international de l’eau de Palestine (Palestinian International Water Forum) organisé en 2018.
Les résultats ont également été diffusés auprès du grand public à travers des interviews presse et radio, des conférences et des formations.
Enseignements
Ce programme de recherche met en évidence « l’utilité de reconnaître les communs qui gouvernent l’eau destinée à l’irrigation. Il mobilise la notion de communs pour comprendre les interactions de pouvoir en jeu au sein des transformations se réalisant sur des échelles locale, nationale et internationale. Il se saisit des externalités positives générées par les communs afin de transformer les interactions politiques et économiques aux échelles nationale et internationale. Bien qu’il s’appuie sur une étude de cas palestinienne, ce développement conceptuel peut être appliqué n’importe où. Les Palestiniens gèrent depuis longtemps l’irrigation en tant que communs au niveau local. Cependant, l’attention massive qu’a suscitée leur combat national a mené les chercheurs à se focaliser sur les institutions nationales plutôt que sur les institutions locales. Cette focalisation sur l’échelle nationale a aussi favorisé la perception de l’eau en tant que stock plutôt qu’en tant que flux, […] géré successivement par une variété d’institutions. Au niveau local, ceci nous permet de comprendre les interactions entre les petits agriculteurs et les agribusiness voisines, par exemple. Ceci nous permet de comprendre les bouleversements au sein des interactions de pouvoir qui ont lieu lorsqu’une économie marchande entre en interaction avec une économie humaine. Au niveau national, ceci nous permet de nous pencher sur la gouvernance des paracommuns. […] Il est maintenant urgent de faire face à la question de la gouvernance des paracommuns de l’irrigation palestinienne. » (Trottier, 2018)
Pour aller plus loin :
- “Les lois palestiniennes de l'eau : entre centralisation, décentralisation et mise en invisibilité” (Julie Trottier, juillet 2018)
- “Palestinian water laws: between centralization, decentralization, and rivalries” (Jeanne Perrier, novembre 2020)
- “The institutionalization of irrigation and the effects thereof: The case of the Palestinian water user associations” (Jeanne Perrier, novembre 2020)
Contacts :
- Julie Trottier, directrice de recherche, CNRS
- Stéphanie Leyronas, chargée de recherche à l’AFD
Souvent désigné au singulier, l’océan n’en est pas moins un espace pluriel, construit au gré de la diversité de la relation des sociétés à la mer. A travers l’étude d’un phénomène océanographique dans le Pacifique tropical oriental – le dôme thermique du Costa Rica –, ce travail de thèse s’intéresse à l’extension des enjeux de conservation de la biodiversité vers la haute mer et aux dynamiques sociopolitiques que cela génère.
Contexte
Alors qu'elle recouvre 43% du globe, la haute mer – désignée par les juristes comme étant au-delà de la juridiction nationale – tend à être définie en creux. Elle est pourtant le siège d'activités humaines diverses (navigation, pêche, exploration minière…) et, dans le contexte actuel de changement climatique et de pressions anthropiques sur les écosystèmes, son état écologique fait l'objet de préoccupations croissantes. Depuis plus de 15 ans, celles-ci sont discutées à l'ONU dans le cadre d’échanges informels ayant abouti à une conférence intergouvernementale ouverte en septembre 2018 sur la conservation et la gestion de la biodiversité dans les zones au-delà de la juridiction nationale. En lien avec ce processus diplomatique, différents sites de haute mer sont rendus visibles par le plaidoyer d'organisations non-gouvernementales (ONG) qui appellent à leur protection. On retrouve parmi ceux-ci un phénomène situé dans le Pacifique tropical oriental : le dôme thermique du Costa Rica.
Objectif
Ce travail de thèse vise à étudier l’émergence du dôme thermique du Costa Rica sur le plan sociopolitique. Ce phénomène d’upwelling océanique est une remontée d’eaux froides riches en nutriments produite par les principaux vents et courants marins de la région, qui évolue de manière saisonnière entre les eaux sous juridiction des Etats centraméricains et les eaux internationales. Découvert à la fin des années 1940 par des océanographes étatsuniens, les enjeux relatifs à la conservation de sa biodiversité émergent depuis une dizaine d’années, principalement sous l’action de l’ONG régionale MarViva.
Dans la mesure où cette question implique des acteurs très divers (ONG, pêcheries hauturières, scientifiques, Etats, organisations intergouvernementales, etc.), cette recherche s’intéresse aux interactions et aux problèmes d’action collective formulés autour du dôme afin d’interroger les conditions d’émergence d’un commun d’une telle complexité. Comment le dôme est-il « construit » ? Par quels acteurs, à travers quels discours et en s’appuyant sur quels savoirs ? Quelles sont les collaborations et les polarisations qu’il cristallise ?
Méthode
Ce travail de thèse s’appuie sur une enquête qualitative multi-située, articulée autour de la collecte d’un corpus de documents écrits (littérature scientifique pluridisciplinaire, littérature grise, textes juridiques), d’entretiens semi-directifs et de moments d’ethnographie.
L’enquête est menée entre la France, le Costa Rica et le Nicaragua. Un séjour centraméricain a été organisé en 2021 afin de récolter la majeure partie des données par le biais d’entretiens auprès des acteurs situés entre différents sites côtiers (Puntarenas, Cuajiniquil, Playas del Coco, San Juan del Sur) et la capitale du Costa Rica, San José.
Résultats
Le principal résultat est la production d’une thèse de doctorat en géographie humaine, soutenue le 2 juillet 2024 : « Communs et océan : protéger la biodiversité marine dans les espaces hauturiers ».
Un papier de recherche a également été publié aux Editions Agence française de développement : Questioning fishing access agreements towards social and ecological health in the Global South (2021).
Enseignements
Ce travail a exploré la construction sociale du Dôme dans trois principaux champs : les sciences océanographiques, les pêcheries hauturières et le secteur de la conservation de la biodiversité.
Depuis son émergence en tant qu’objet social, le Dôme est resté un espace offshore, difficilement accessible et gouvernable pour des acteurs qui ont déployé diverses stratégies pour le connaître et l’utiliser. La recherche océanographique mobilise de manière grandissante la médiation technique pour déchiffrer un espace géophysique aux contours flous. Plusieurs pêcheries, en particulier des flottes industrielles de pêche lointaine, se sont approchées au plus près du Dôme. Ces rencontres ne se sont toutefois pas révélées stratégiques de manière constante et les pêcheurs continuent à le considérer comme un espace fluide aux configurations dynamiques qui servent des usages labiles.
Plus récemment, le Dôme est devenu un sujet d’attention pour le secteur de la conservation de la biodiversité. Des organisations environnementales non-gouvernementales ont pris le devant pour proposer différentes solutions de gouvernance en commun aux enjeux de protection de la haute mer. Pourtant, en tant qu’élément offshore, le Dôme reste à la limite du monde. Inappropriable, il invite à considérer un narratif autre que celui du « front océanique » – narratif particulièrement présent au cours des dernières années et qui s’appuie sur une vision d’ouverture et de vide océaniques comme opportunité d’expansion humaine et de contrôle.
A lire aussi : L’ouverture des sciences marines, au service d’un océan bien commun de l’humanité (The Conversation France)
Contacts :
- Nadège Legroux, docteure en géographie humaine
- Stéphanie Leyronas, chargée de recherche à l'AFD