Ce partenariat de recherche avec EcoAct a permis d’approfondir la notion de « norme de bon état écologique », centrale dans le cadre ESGAP (Environmental Sustainability Gap), une méthodologie portée par l’AFD pour évaluer la soutenabilité environnementale d’un territoire. Ces travaux vont permettre de préparer la suite du programme ESGAP.
Contexte
Aujourd’hui, la majorité des dirigeants reconnaissent la dégradation du capital naturel et l'urgente nécessité de protéger l'environnement. Mais, pour définir des politiques publiques adaptées, ils doivent pouvoir s’appuyer sur des standards scientifiques leur permettant d’évaluer l’état du capital naturel d’un territoire.
Il reste difficile d'évaluer cet état, ou même de définir exactement ce que devrait être un « bon état » de la planète : la plupart des instruments existants ont une définition incomplète de la durabilité environnementale, manquent d'indicateurs pertinents ou ne parviennent pas à définir des objectifs appropriés pour atteindre un bon état environnemental. Il n'existe donc pas d'approche satisfaisante qui permettrait aux décideurs ou aux experts de savoir si un pays se dirige ou non vers la durabilité environnementale.
Fondé sur un tableau de bord évaluant l’état de 23 composantes de l’environnement, le cadre ESGAP vise à répondre à ce besoin. Cependant, l'absence de normes appropriées pour de nombreuses contributions essentielles du capital naturel et dans de nombreux pays est l'une des lacunes les plus notables identifiées dans les projets pilotes ESGAP en Nouvelle-Calédonie, au Kenya et au Vietnam.
Regarder la vidéo : Mesurer le bon état de la planète
Objectif
Ce projet de recherche avec EcoAct a eu pour objectif de recenser les normes manquantes pour plusieurs composantes de l'Environmental Sustainability Gap (ESGAP). Il discute des stratégies possibles pour développer des normes appropriées dans le cas où aucune norme n'est disponible à l'échelle mondiale.
Méthode
L'ESGAP est un outil innovant développé initialement avec l'University College London (UCL) qui évalue l’état des fonctions environnementales d’un territoire et de leur niveau de soutenabilité. Pour toutes les composantes critiques du capital naturel sur le territoire concerné (qualité de l’air ou des eaux, pollutions, ressources forestières, ressources halieutiques, etc.), cet indicateur calcule l'écart entre leur état actuel et un état qui serait soutenable (c'est-à-dire un état compatible avec un fonctionnement durable des processus nécessaires à la préservation de la vie, des activités humaines et du bien-être). Cela permet de calculer un « écart de soutenabilité environnementale », qui met en lumière le chemin à parcourir pour atteindre le stade de soutenabilité environnementale. Cela peut ensuite servir de guide aux politiques publiques pour estimer et préserver l’état naturel d’un territoire donné.
Résultats
Sur les 22 indicateurs du cadre ESGAP examinés dans ce projet, 16 ont fait l’objet d’une proposition de standard. Pour 8 indicateurs, il n’y a pas d'informations suffisamment solides pour proposer une norme applicable au niveau mondial. L’étude a identifié 13 ensembles de données disponibles pour calculer ces indicateurs à l'échelle mondiale et fourni la source et le lien pour accéder à ces bases de données accessibles au public.
Consulter le rapport final : Defining Standards of Good Ecological Condition for Computing the ESGAP in Developing Countries
Enseignements
L'étape suivante pour produire une norme de bon état écologique applicable à tous les pays implique, pour les indicateurs avec "normes à définir par des experts" (Fairbrass, 2020), d'examiner qui pourraient être les experts et comment s'engager avec eux pour définir une norme applicable au niveau mondial. Cela dépend de l'existence d'une autorité reconnue au niveau mondial (comme l'Organisation mondiale de la santé pour la pollution ou l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture en ce qui concerne la pêche), ou si l'indicateur est développé par différentes équipes de scientifiques ou organisations.
Des travaux futurs pourraient également se concentrer sur l'examen de l'état des connaissances et des options concernant la définition de normes à partir de sources non conventionnelles, telles que les données géospatiales, les big earth data, etc. Le projet ARIES lié à la compilation des comptes des écosystèmes dans le cadre du système SEEA-EA (System of Environmental-Economic Accounting – Ecosystem Accounting) pourrait être une source intéressante pour cela.
En savoir plus sur l'ESGAP :
- A single indicator of strong sustainability for development: Theoretical basis and practical implementation (2019)
- Monitoring the Environmental Sustainability of Countries through the Strong Environmental Sustainability Index (2022)
- Are We on the Right Path? Measuring Progress towards Environmental Sustainability in European Countries (2022)
Contact :
- Oskar Lecuyer, chargé de recherche à l'AFD
Plusieurs chemins sont possibles pour l’avenir d’un territoire, mais il est nécessaire que les visions que les populations ont de son évolution et de ce qui détermine les bifurcations de trajectoires soient cohérentes. Ce projet a appliqué une méthode participative de réflexion sur les futurs plausibles d’une région rurale du Sénégal, celle des Niayes, vitale pour l’économie du pays mais fragile. La démarche a montré que la combinaison de modélisation scientifique et de mise en situation par des jeux de rôles permet d’affiner la description des dynamiques futures du territoire.Contexte
Les régions sahéliennes d’Afrique de l’Ouest font aujourd’hui face à des changements qui interrogent sur l’avenir de ces territoires et de leurs populations : croissance démographique, migrations, changement climatique, recul de la végétation naturelle au profit des parcelles de cultures, érosion et baisse de la fertilité des sols, investissements à grande échelle, expansions urbaines, conflits armés…
Caractérisée par une importante activité maraîchère orientée vers la capitale proche, la région des Niayes au Sénégal apparaît comme une zone qui cristallise nombre de ces problématiques : elle connaît un grignotage rapide des terres agricoles lié à l’étalement urbain et l’installation d’industries minières, ainsi qu’une intensification de la production agricole conduisant, en particulier, à des prélèvements d’eaux souterraines jugés non durables.
Le devenir des Niayes soulève donc de nombreuses questions et est donc devenu une préoccupation du gouvernement du Sénégal, qui l’a citée dans sa contribution déterminée au niveau national (CDN) élaborée pour la COP21.
Objectif
Cette étude prospective visait à fournir des éléments de réflexion sur les futurs plausibles qui s’offrent à la région des Niayes et les différentes mesures d’aménagement qui pourraient être prises, en donnant une large place aux acteurs locaux dans le processus. Il s’agissait, dans une logique participative, d’associer les différents acteurs des Niayes à la définition de scénarios d’évolution du territoire à l’horizon 2040, puis de mettre en débat les résultats, notamment pour approfondir les actions nécessaires à l’atteinte d’un futur souhaitable pour les populations désireuses de vivre dans cette zone.
Méthode
L’étude s’est fondée sur la co-élaboration, avec les acteurs locaux, de plusieurs « scénarios exploratoires » pour la région des Niayes à l’horizon 2040. Un scénario exploratoire est une description de l’avenir possible d’un territoire en combinant différentes variables – par exemple, une hausse des températures associée à une hausse démographique, une évolution des prix agricoles et l’application d’une politique d’aménagement. Les scénarios élaborés permettent d'envisager des trajectoires à moyen et long terme. Ils ont ensuite été présentés et débattus collectivement lors de restitutions.
Cette approche par scénarios exploratoires qualitatifs a été couplée à l’élaboration de modules quantitatifs, composés d’indicateurs économiques, agronomiques et écologiques : performance des exploitations agricoles (production, revenus, emplois), dynamique de l’occupation des sols, bilan hydrique incluant les eaux de la nappe phréatique. Ces modules ont ensuite été rassemblés dans un modèle spatial global, afin de pouvoir simuler les scénarios exploratoires. Pour cela, les valeurs des différents paramètres du modèle ont été choisies de manière à reproduire les narratifs des scénarios, conduisant ainsi à un ensemble de résultats caractérisant chaque scénario.
Résultats
Le travail de prospective territoriale a débouché sur la co-construction de 6 scénarios exploratoires quantitatifs, contrastés et plausibles, décrivant comment pourrait être la zone des Niayes à l’horizon 2040 :
- « Co-Niayes » : en 2040, les Niayes sont devenues une région prospère où espaces ruraux et urbains cohabitent avec une population cosmopolite épanouie, une économie fructueuse, une société civile organisée et consultée pour les décisions. Les sols sont fertiles, et les exploitations familiales produisent une alimentation de qualité en collaboration avec les sociétés et l’agriculture patronale.
- « Les EcoVillages » : en 2040 dans les Niayes, la population est répartie au sein d’éco-villages, et vit en harmonie avec les ressources naturelles qui sont bien conservée. Il n’y a aucune industrie minière. La société civile et les organisations de producteurs ont un poids incontournable dans les décisions publiques et la population accède aisément aux services sociaux de base. Les agriculteurs et les agro-industries travaillent ensemble à satisfaire la demande importante en produits agricoles bio.
- « Les Niayes touristiques » : en 2040 les Niayes se sont reconverties à l’activité touristique. Après concertation entre les décideurs et la population, la zone est devenue une réserve naturelle destinée aux touristes. Les ressources naturelles sont donc respectées et protégées. Les populations consomment des produits locaux et sont en bonne santé.
- « La ville verte auto-gérée » : en 2040, les Niayes sont devenues une grande ville verte où les populations s’autogèrent. L’agriculture est robotisée avec des producteurs spécialisés et bien formés. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont très développées. Les infrastructures sont gérées par des privés et l’accès aux services est très inégalitaire.
- « SOS Niayes » : en 2040, les Niayes sont recouvertes de bidonvilles. L’Etat ne prend aucune décision et les trafics de produits illicites se développent. Les agro-industries gagnent du terrain face aux petites exploitations familiales. Cette situation critique conduit à l’émergence de maladies qui déciment une partie de la population. La dégradation de l’environnement s’est accentuée, entrainant une disparition totale de l’agriculture, et laissant place à l’implantation anarchique des industries minières.
- « Zone minée » : en 2040, dans les Niayes, suite à une négociation avec l’Etat, un conglomérat de compagnies minières a pris possession de la majeure partie des terres. Elle a un accès exclusif aux ressources. L’agriculture a disparu et les populations ont quitté la zone. L’extraction se fait de façon entièrement robotisée et les produits sont destinés aux marchés nationaux et internationaux. Une grande zone portuaire permet l’exportation des produits miniers.
Ces 6 scénarios exploratoires ont donné lieu à la production d’un film d’animation les présentant et permettant d’animer une vingtaine de débats sur le futur des Niayes :
Certaines actions déterminantes pour infléchir la trajectoire du territoire ont pu être approfondies lors d’une série d’ateliers conduits avec les agriculteurs de la zone et des agents du ministère de l’Eau du Sénégal. Ces ateliers ont permis d’identifier certaines pratiques et règles sociales pour mieux préserver la nappe phréatique et l’équité d’accès à l’eau.
Le modèle spatial des dynamiques des Niayes, qui intègre les différents indicateurs qui caractérisent les scénarios, a permis d’estimer les niveaux plausibles de la nappe phréatique, de l’étalement urbain, de l’étalement de l’espace irrigué, des productions agricoles, des recettes agricoles et des emplois. Le modèle a été calibré et vérifié, puis des simulations ont été réalisées en fonction de différents scénarios climatiques et démographiques, et de différentes choix politiques ou économiques identifiés comme caractéristiques des scénarios exploratoires et du jeu de rôle.
Enseignements
Outre les connaissances sur les différents futurs possibles de la région des Niayes, ce travail illustre l’intérêt de coupler les outils quantitatifs et qualitatifs pour la prospective territoriale, en permettant d’un côté une créativité et une richesse d’exploration des futurs, et de l’autre une vérification de la cohérence interne des narratifs suggérés par les populations locales. Une innovation a été d’utiliser un jeu de rôle pour identifier les conflits d’intérêt et approfondir, par exemple, les règles de partage de l’eau entre différents groupes d’acteurs (irrigants, ménages urbains, industries minières).
Malgré les limites du modèle, un résultat important de ce travail a été de montrer la complémentarité entre l’approche qualitative et quantitative, en mettant en évidence des erreurs de jugements par exemple sur l’impact de l’activité minière ou de l’agriculture sur les volumes d’eau extraits.
Pour en savoir plus :
- Niayes 2040 – Rapport final
- « Anticiper l’avenir des territoires agricoles en Afrique de l’Ouest : le cas des Niayes au Sénégal » (Cahiers Agricultures, 2019)
- « Utiliser le futur pour définir aujourd'hui la gestion durable des territoires ruraux » (Dialogues de politiques publiques n°62, décembre 2022, Editions Agence française de développement)
- « Construire l'avenir des territoires : entre imaginaire et calcul » (Dialogues de politiques publiques n°63, décembre 2022, Editions Agence française de développement)
Contact :
- Benoit Faivre-Dupaigre, chargé de recherche à l’AFD