
Contexte
De nombreuses études analysant les risques pour la stabilité des systèmes financiers liés à la dégradation de la nature (RDN) ont été publiées récemment pour les Pays-Bas, la France, ou d’autres pays. Elles soulignent toutes que la perte de biodiversité peut avoir des effets déstabilisateurs importants, soit par l'effondrement des écosystèmes et des services qu'ils rendent à l'économie (ce que l’on appelle les « chocs physiques »), soit par des changements de comportement, de technologie ou de réglementation mis en œuvre dans le cadre d'une transition écologique (« choc de transition »).
Objectif
L’étude, centrée sur le cas de l’Afrique du Sud, évaluera les effets potentiels – en termes de production, de génération de revenus, d’inflation, d’emplois, de salaires, d’équilibre de la balance extérieure et de stabilité budgétaire – d’un choc physique (lié à une dégradation des services rendus par les écosystèmes) ou d’un choc de transition (lié à des mesures ou des innovations contribuant à réduire les pressions exercées par certains secteurs de l’économie sur la biodiversité).
En complément de cette analyse globale, la méthode tente de localiser précisément ces risques sur le territoire, afin d’informer les décideurs locaux et de les aider à prendre des mesures de transition écologiques informées.
Mais ces risques dépassent largement le seul secteur financier, notamment dans les pays en développement. Comment mieux prendre en compte le contexte macro-financier dans l'analyse des RDN dans les pays émergents où il joue un rôle clé dans la résilience des entreprises ou des institutions ? Par rapport à la question climatique, comment mieux prendre en compte l'aspect territorial des risques liés à la nature et mener une évaluation spatialement explicite ?
Programme de recherche associé
Méthode
Cette étude introduit de nouvelles méthodes d'évaluation des risques socio-économiques liés à la dégradation de la nature, en s'appuyant sur deux contributions principales :
- Elle mène une analyse multidimensionnelle de l'exposition de plusieurs variables macro-financières et sociales aux risques liés à la nature. Basée sur des tableaux entrées-sorties étendus à l'environnement et des comptes satellites socio-économiques, l'analyse identifie comment les risques pourraient exercer des impacts significatifs sur des secteurs directement et indirectement essentiels pour les chaînes de production, et ensuite pour les équilibres socio-économiques.
- La méthode propose une évaluation spatiale plus granulaire, au niveau des municipalités sud-africaines, en étudiant les vulnérabilités liées à la nature. Cette démarche nécessite la mise en cohérence de données économiques spatialisées avec des données écologiques cartographiées. Les résultats localisent donc les expositions socio-économiques.
Ces deux démarches reliées entre elles soulignent l'importance d'une approche holistique des risques liés à la nature, combinant les connaissances des économistes et des écologistes, et capable de mettre l'accent sur les objectifs conjoints de prospérité économique, de stabilité sociale et de durabilité environnementale.
Enseignements
L’étude permet d’identifier des secteurs économiques potentiellement exposés à des risques importants et offre l’opportunité aux acteurs sud-africains de mener des études plus poussées afin de préciser l’ampleur et la matérialité de ces risques.
Par exemple, en Afrique du Sud, 80 % des exportations du pays et 60% des prêts aux entreprises apparaissent fortement dépendantes des services d’approvisionnement en eau fournis par les écosystèmes. Outre l'exposition directe à ces risques, un choc subi par les secteurs qui dépendent du service écosystémique d’approvisionnement en eau peut se propager ("en cascade") dans l'ensemble du réseau industriel, sous la forme d'effets sur la demande ou sur l'offre. Alors que 18 % des emplois et 24 % des salaires sont directement exposés à ces risques (notamment dans les secteurs de l'immobilier et de l'industrie manufacturière), ces expositions passent respectivement à 48 % et 56 % si l'on inclut les activités indirectement exposées au travers des chaines de valeurs.
La biodiversité étant très dépendante des facteurs géographiques, il est important de compléter les analyses précédentes, par des analyses géolocalisées : il faut identifier quelles activités économiques se situent là où les écosystèmes et les services qu’ils fournissent sont dégradés. Quand on tient compte de la localisation des entreprises contribuant aux exportations, le premier chiffre de 80% des exportations sud-africaines dépendantes de l’approvisionnement en eaux de surface est ramené à près de 23 % d’exportation vulnérables à ce service écosystémique. Cela signifie que 23% des exportations sont générées par des activités dépendantes à l’approvisionnement en eaux de surface et qui sont, en plus, situées dans des municipalités où le service écosystémique est sensiblement dégradé. En d'autres termes, en tenant compte de la localisation des services écosystémiques dégradés, il apparaît que près d'un quart des exportations nettes semble directement vulnérable au manque d'eau.
Pour aller plus loin :
- Lire le papier de recherche : Socio-economic and spatially-explicit assessment of nature-related risks – The case of South Africa
- Lire le papier de recherche : A framework to assess socioeconomic and spatialized nature-related risks: An application to South Africa (Environmental and Sustainability Indicators, 2025)
- Revoir le webinaire Conversation de recherche consacré aux résultats avec les partenaires sud-africains
Suites du projet de recherche
La méthode et les résultats de l’étude ont suscité l’intérêt d’un grand nombre d’acteurs économiques et des sciences de l’environnement, confirmant la pertinence de la méthode. Moins que les valeurs précises des résultats, ce sont les ordres de grandeur et l’identification des secteurs économiques fortement dépendants aux services rendus par les écosystèmes (exposés à un risque physique) ou exerçant le plus de pressions sur la biodiversité (exposés à un risque de transition) qui suscitent l’intérêt et le débat.
En effet, l’un des principaux résultats a été de susciter l’intérêt et le dialogue entre des acteurs sud-africains qui échangeaient peu jusqu’à présent, notamment l’Institut national de la biodiversité (SANBI), le ministère de l’Environnement, le ministère des Finances ou encore la Banque centrale (South African Reserve Bank, SARB).
Les acteurs sud-africains travaillent actuellement à traduire ces résultats techniques en documents accessibles pour une audience de non-spécialistes et pour générer des débats plus approfondis avec des acteurs des principaux secteurs identifiés comme exposés à des risques, ou vecteurs d’opportunités pour des secteurs résilients à fort impacts positifs socio-économiques.
Par ailleurs, la Banque centrale d’Afrique du Sud est en train d’utiliser cette méthode pour réaliser avec l’AFD une évaluation de l’exposition du secteur financier pour l’ensemble des pays membres de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC). La Banque de développement d’Afrique du Sud (DBSA) a aussi commencé à utiliser cette méthode pour évaluer l’exposition de son propre portefeuille. D’autres développements et améliorations de la méthode pourraient suivre à l’avenir.
Contacts
- Paul Hadji-Lazaro, macroéconomiste écologique à l'AFD
- Julien Calas, chargé de recherche biodiversité à l'AFD
- Antoine Godin, responsable de la cellule modélisation macroéconomique GEMMES à l'AFD
- Andrew Skowno, coordinateur de l'analyse de la biodiversité nationale à SANBI
- Pamela Sekese, consultante en matière de géospatial
Suivre l'actualité de la recherche à l'AFD


Contexte
Aujourd’hui, la perte de biodiversité est devenue un risque majeur pour les systèmes financiers. En septembre 2023, Ravi Menon, président du NGFS – le réseau des banques centrales, des régulateurs financiers et des institutions financières pour le verdissement du système financier –, alerte : « Avec la crise climatique, la dégradation de la nature constitue une menace existentielle pour notre planète. Prendre en compte les risques liés à la nature et leurs implications pour le secteur financier n'est plus simplement prudent, c’est impératif ».
Ce risque nécessitant une mesure rigoureuse, plusieurs cadres ont été proposés. Le NGFS a publié un cadre conceptuel pour la prise en compte des risques liés à la perte de biodiversité. Le cadre mondial de la biodiversité de Kunming Montréal, via sa cible 15, incite aussi les entreprises et les institutions financières à évaluer, rendre compte et réduire les risques liés à la perte de biodiversité et les impacts négatifs qu’elles exercent d’ici à 2030. Enfin, la Task Force on nature-related Financial Disclosure (TNFD) a proposé un cadre de rapportage pour aider les entreprises et les institutions financières à analyser ces risques et impacts et les divulguer, en recommandant d’utiliser des métriques de biodiversité diverses.
Toutefois, les missions et métiers des banques publiques de développement tournés vers l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD) étant très particuliers au sein des institutions financières, il existe peu d’études pour aider ce type d’institutions à identifier les métriques de biodiversité les plus adaptées à leurs activités.
Objectif
L'objectif principal est de comparer six métriques de biodiversité pour déterminer lesquelles sont les plus adaptées aux besoins des banques publiques de développement. En identifiant les meilleures pratiques, ce projet vise à guider les BPD dans leurs décisions de financement, en intégrant mieux les considérations de biodiversité. Cette harmonisation des pratiques de mesure de la biodiversité permettra d'améliorer l'impact environnemental des projets financés.
Le projet de recherche cherche également à révéler les coûts d’accessibilité et la nécessité de formations pour les acteurs des BPD afin qu'ils puissent intégrer efficacement les considérations de biodiversité dans leurs évaluations de risque.
Ce projet fait partie du programme de recherche ECOPRONAT, qui soutient des recherches sur une meilleure prise en compte et une plus grande intégration (mainstreaming) de la biodiversité dans des secteurs économiques-clés.
Méthode
À la suite d'une étude exploratoire réalisée par The Biodiversity Consultancy, six métriques pour évaluer la biodiversité dans les projets des banques publiques de développement (BPD) ont été sélectionnées : ENCORE, ABC-map, STAR, CBF, BFFI et GBS. Ces métriques, pertinentes et scientifiques, couvrent les principaux facteurs de perte de biodiversité.
Un échantillon de six projets variés de l'AFD a été constitué pour tester ces métriques. Les projets incluent des initiatives en Afrique, au Pakistan, et au Mexique. La Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) a également testé les mêmes métriques sur trois de ses projets.
L’étude, menée par Biotope et Arcadis, se déroule en trois phases :
- Lancement et collecte de données : briefing, validation des projets et collecte des données avec recommandations ;
- Mise en œuvre : évaluation sommaire puis approfondie selon les données disponibles ;
- Consolidation et rapport : analyse des résultats, comparaison des métriques, et rédaction du rapport de synthèse.
Résultats
Une étude exploratoire a proposé plusieurs protocoles pour l'utilisation de plusieurs métriques afin de comparer leurs résultats. Elle contient également des informations qui peuvent être utiles à certaines banques de développement qui souhaitent simplement choisir une métrique et voir comment elles peuvent l'utiliser. Dans cette perspective, un arbre de décision pour le choix de l’une des métriques étudiées est proposé dans l'annexe 2 de ce premier rapport préliminaire.
Télécharger l’étude exploratoire
Ce projet de recherche vise à produire une analyse comparative détaillant les avantages et les limites des différentes métriques de biodiversité étudiées. Une publication dans la collection Dialogue de politique publique (en anglais) fournit des résultats préliminaires, un cas d’étude et des recommandations spécifiques pour l'intégration de ces métriques dans les processus de financement des BPD.
Télécharger le Dialogue de politique publique
Le rapport complet sera publié sur cette page après la COP16 biodiversité, vers la fin de l'année 2024. En outre, des webinaires et des publications permettront de partager les conclusions avec un public plus large, incluant des acteurs du développement et de la protection de la biodiversité.