Dans son sixième rapport d’évaluation, publié en mars 2023, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est clair : les épisodes de sécheresse sont plus fréquents qu’auparavant, et les risques qu’ils surviennent ainsi que leur intensité continueront d’augmenter avec le changement climatique.
Pour de très nombreuses régions du monde, les besoins en eau des populations, de l’agriculture ou de l’industrie devraient être plus difficiles à satisfaire à l'avenir. En parallèle du combat à mener pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre, l’heure est aussi au déploiement de solutions d'adaptation concrètes et éprouvées. Et sur ce sujet, les pays africains ont des expériences à partager.
Réutiliser les eaux usées
En Tunisie, la satisfaction de la demande en eau est d’ores et déjà problématique les années sèches, durant lesquelles la ressource disponible peut chuter de 40 %. Cette situation pourrait être aggravée par les impacts du changement climatique, la pression démographique et le développement socio-économique.
Le pays met aujourd’hui en œuvre une stratégie nationale de gestion de l’eau ambitieuse mêlant à la fois gestion de la demande et gestion de l’offre. Elle se base sur une étude des usages menée avec l’appui de l’AFD, via son programme AdaptAction, dont l’une des dimensions s’intéresse à la réutilisation des eaux usées à l’horizon 2050.
Ces eaux, une fois traitées en stations d’épuration, peuvent être réutilisées en agriculture, dans les usines, pour l’arrosage d’espaces verts ou pour recharger des nappes phréatiques. D’après l’Office national de l’assainissement, 50 % de réutilisation ont déjà été atteints en sortie d’une station d’épuration pour l’irrigation de près de 600 hectares de terres agricoles, avec de bons résultats au niveau de la qualité des eaux.
L’objectif du Plan directeur national de réutilisation des eaux usées traitées, Water reuse 2050, est désormais de développer une vision partagée et une stratégie à long terme pour mieux valoriser cette ressource.
Améliorer la recharge des nappes phréatiques
La zone de captage de Pout abrite des ressources en eau souterraine qui fournissent 25 % de l’alimentation de la région de Dakar, Thiès et Petite Côte, au Sénégal. Les activités d’exploitation minière et d’agriculture irriguée puisent fortement dans ces nappes, qui peinent à se recharger en raison des effets du changement climatique.
Face à cette situation, le gouvernement sénégalais a initié fin 2021, en partenariat avec le programme AdaptAction du groupe AFD, un projet de protection des ressources en eau et d’amélioration de la recharge de nappes phréatiques à travers des solutions fondées sur la nature. Ce projet consiste à favoriser l’infiltration et la récupération des eaux de pluie, notamment via la réhabilitation de bassins de rétention, le reboisement d’espaces naturels et l’installation de digues filtrantes.
Ces initiatives vont de pair avec la mise en place de pratiques agricoles permettant de réduire les consommations d’eau : apport de matière organique, réduction des pesticides, développement d’écosystèmes.
Préserver l’humidité des champs
La technique semble à première vue rudimentaire, mais elle est rudement efficace. Pour réduire les dégâts que les eaux de pluie sont susceptibles d’entraîner sur le sol sec d'un champ cultivé, de nombreux projets de développement soutiennent la création de cordons pierreux.
Il s’agit d’empilements de pierres disposés dans de petits fossés, en ligne, tous les 30 à 50 mètres, suivant les courbes de niveau. Lorsqu’elles s’écoulent, les eaux de pluie viennent buter sur ces cordons, ce qui ralentit le ruissellement et limite l’érosion du sol, tout en permettant le dépôt de sédiments et l’infiltration de l’eau dans la terre.
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Les cultures maillées de cordons pierreux bénéficient ainsi d’une meilleure humidité et d’apports en matière organique, et voient leurs rendements augmenter, jusqu’à +70 % d’après des études menées lors de projets de développement. « Ces cordons pierreux représentent une activité classique des projets menés au Sahel, lors de l’aménagement de bassins-versants ou de l’appui à l’agroécologie locale », observe Jean-René Cuzon, responsable d’équipe projet Agriculture à l’Agence française de développement.
Apparus dans les années 1980 chez les paysans du plateau de Mossi, au Burkina Faso, les cordons pierreux sont aujourd’hui développés en Mauritanie dans le cadre du programme Asarigg financé par l’AFD. Son objectif global est de contribuer à améliorer la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables, à restaurer l’environnement, à réduire les risques de conflits fonciers et à renforcer la cohésion sociale. Près de 400 hectares de sol ainsi restaurés ont déjà permis à plus de 4 000 ménages d’accéder à la production agricole, dans un pays où seulement 0,5 % des terres est cultivable.
Développer l’agroforesterie
L’agroforesterie consiste à associer des arbres et des cultures au sol ou des animaux d’élevage sur une même parcelle. Cette pratique ancestrale connaît un regain d’intérêt car elle offre une meilleure utilisation des ressources, une plus grande diversité biologique et la création d’un micro-climat favorable à l’augmentation des rendements.
La présence d’arbres ou de haies dans les champs génère en effet de l’ombre, augmentant l’humidité des sols et réduisant le besoin d’irrigation. Elle favorise aussi l'infiltration des eaux de pluie et permet des collaborations entre espèces végétales, via l’apport de matière organique, le stockage de CO2, ainsi qu’une diversification des productions : bois d’œuvre, bois énergie, fruits, fourrage…
L'AFD et la Forest National Corporation (FNC) du Soudan travaillent ensemble sur un projet visant à augmenter les revenus directs des agriculteurs de gomme arabique, dans le Nord Kordofan, depuis 2013, notamment via le développement de l’agroforesterie.
« En écoutant les études, les traditions et l’expérience de nos ancêtres, nous sommes incités à planter des arbres, car la pluie tombe sur les zones arborées plus que sur les terres arides, et cela améliore la rétention d’eau », souligne Elhadi Abdelgafer Mekki, président de l’Association des producteurs de gomme arabique du Soudan.
Améliorer la concertation
Le GIEC indique dans son dernier rapport que le développement résilient au dérèglement climatique progresse lorsque les acteurs travaillent de façon à concilier leurs différents intérêts, valeurs et visions du monde, « en vue d’obtenir des résultats équitables et justes ». Autrement dit, la concertation permet le plus souvent d’avancer dans la direction souhaitable pour tous.
« Toute solution d’adaptation au changement climatique est contextuelle. Il faut prendre le temps d’étudier chaque cas. Mais l’approche technique n’est pas suffisante. Elle doit s’intégrer dans une démarche de dialogue de politiques publiques incluant l’ensemble des parties prenantes, analyse Christophe Buffet, responsable du programme AdaptAction à l’AFD. On parle en effet de risques de "maladaptation" : certains groupes de populations sont susceptibles de s’adapter au détriment d’autres groupes sociaux, ce qui, in fine, risque d’exacerber les tensions et les conflits. La concertation est donc de plus en plus indispensable. »
La structure et les composantes du projet de recharge des nappes phréatiques dans la zone de Pout, au Sénégal, ont par exemple été co-construites en s’appuyant sur une approche participative associant l’ensemble des acteurs : ministères, organismes scientifiques, communes, associations de maraîchers, associations de femmes, entreprises de l’agroalimentaire, mines et carrières, cimentier… L’association des parties prenantes, dès le stade de l’étude de faisabilité, a permis d’initier une démarche collective et de développer une notion d’appartenance à un territoire. Cette co-construction sera poursuivie et renforcée dans le cadre du projet.
« Dans le cadre du programme AdaptAction nous essayons ainsi d’encourager ces démarches participatives à tous les niveaux pour favoriser la traduction des sciences du climat en politiques publiques et en investissements plus résilients », ajoute Christophe Buffet.