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marché à Ménaka, ville située au Nord du Mali
Déjà éprouvées par les conséquences de la crise liée au Covid-19 et le dérèglement climatique, les populations africaines sont particulièrement exposées aux conséquences du conflit russo-ukrainien, du fait de leur dépendance à l’import de matières premières agricoles. À l'approche de la COP15 contre la désertification organisée à Abidjan du 9 au 20 mai 2022, le groupe Agence française de développement (AFD) intensifiait son action basée sur la solidarité régionale et la souplesse des mécanismes de financement.

Article publié pour la première fois le 25 avril 2022.


Loin des destructions directes provoquées par l’armée russe sur le sol ukrainien, une autre catastrophe se joue pour l’Afrique. Dans l’ouest du continent par exemple, 38,3 millions de personnes auront besoin d’une assistance alimentaire et nutritionnelle immédiate pour la période juin-août 2022, alerte le Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA). 

La paralysie du bassin de production alimentaire de la mer Noire a vu grimper le cours du blé de 30 %, en date du 15 mars 2022. Il avait déjà doublé en 2021. Or, sur 55 pays que compte le continent africain, 33 importent 90 % ou plus de leur consommation de blé. Au Maghreb notamment, la situation est critique, a fortiori en période de ramadan : l’Égypte importe plus de 60 % de sa consommation de blé, l’Algérie 75 %, la Tunisie 62 % et le Maroc 38 %.


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Avant le début de l'invasion russe en Ukraine, « quelque 283 millions de personnes souffraient déjà de la faim » sur le continent, rappelle Akinwumi Adesina, le directeur de la Banque africaine de développement (BAD). En effet, la crise alimentaire mondiale est palpable en Afrique depuis la première crise russo-ukrainienne de 2013-2014, ces deux pays étant respectivement premier et quatrième exportateurs de blé dans le monde. Avec l’effet démultiplicateur de sécheresses répétées, et surtout de la crise du Covid-19, l’instabilité menace encore plus. 

Celle-ci se mesure déjà aux tarifs qui explosent sur les étals des marchés depuis mars 2022. Or, en 2021, 8 000 protestations sociales ont éclaté à travers le continent en réaction à la hausse des prix à la consommation. L'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a d’ailleurs révisé son indice de suivi des prix alimentaires au niveau mondial, obtenant le pire taux depuis sa mise en place dans les années 1990.


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L’Ouest africain en première ligne

Dans la zone Sahel et l’Ouest africain, déjà frappés par une chute du rendement des récoltes et l’instabilité sécuritaire, la question d’une aide supplémentaire d’urgence se pose déjà. « Nous sommes passés de 10,7 millions de personnes menacées par l’insécurité alimentaire en 2019 à 40,7 millions en 2022 », s’alarme Issoufou Baoua, expert analyste en sécurité alimentaire auprès du Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS). 

Particulièrement touchés, le pourtour du lac Tchad (Tchad, Nigéria, Cameroun) et la zone des trois frontières, au carrefour du Mali, du Burkina Faso et du Niger, inquiètent.


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Mais les pires conséquences du conflit en Ukraine pour l’Afrique pourraient être encore à venir. Les Nations unies alertent sur le fait que la poursuite de la guerre empêcherait les prochaines récoltes en Ukraine, voire en Russie, ce qui pourrait entraîner une nouvelle hausse des prix du blé. Plus grave encore, les récoltes pourraient être menacées sur plusieurs années avec la chute des importations de fertilisants. Avec certains ingrédients comme la potasse importés en Afrique de l’Ouest à 90 % via la Russie et la Biélorussie, on assiste déjà à un doublement des prix sur les douze derniers mois.

Dans un pays comme la Mauritanie, déjà impactée par un effondrement de la biomasse produite ces dernières années, les conséquences pourraient être durables. « Les prix élevés des engrais risquent de conduire à une faible production agricole en 2022. Assurer l'approvisionnement alimentaire pour l’année 2023 s’annonce encore très difficile. Dans cette perspective, la reconstitution des stocks publics nationaux et régionaux peut dès à présent être un objet d’intervention déterminant pour le groupe AFD », indique Matthieu Le Grix, responsable Agriculture, développement rural et biodiversité à l'AFD.


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Confrontés à ces urgences multiples, certains États se replient et misent sur l’autarcie. L’Algérie ou le Ghana ont ainsi choisi d’interrompre les exportations alimentaires à leurs voisins. Matthieu Le Grix s’en alarme : « Il nous faut désormais raisonner la notion de souveraineté alimentaire à l’échelle régionale, avec la solidarité entre pays ». Pour parer à l’urgence, le groupe AFD souhaite notamment poursuivre son soutien aux dispositifs de stockage de denrées alimentaires, et en particulier s’inspirer de la réussite de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) dans ce domaine. 

« Nous devons mettre en adéquation nos instruments financiers pour déployer plus de souplesse face à l’urgence, en complément des instruments humanitaires et dans le respect de notre mandat. Tout doit être fait pour accompagner la progression vers l’autonomie alimentaire dans les pays vulnérables, c'est-à-dire soutenir la production et permettre de réduire les importations de produits de base », conclut Matthieu Le Grix.

Pour déployer ce surcroît d’agilité sur le continent où il est le plus impliqué, le groupe AFD peut notamment s’appuyer sur des outils éprouvés comme le Fonds paix et résilience Minka. Créé en 2017, ce fonds est dédié à l’endiguement et à la prévention des conflits. Il couvre par exemple 60 % des financements en dons sur la zone Sahel, et permet un accompagnement de terrain adapté à des situations particulièrement délicates, comme celle que traverse le Mali.


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