Migrations climatiques et environnementales : comprendre pour agir

publié le 26 février 2024
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Un passeport et deux mains
Alors que les instances internationales peinent à s'accorder sur les réponses à envisager face aux déplacements de populations liés tant au changement climatique qu'aux crises environnementales, le problème reste omniprésent. Serge Rabier, démographe auprès de l'AFD, signe dans « L'Économie africaine 2024 » (Éditions La Découverte) un chapitre consacré à ce sujet en Afrique. Il nous livre ses pistes pour y voir plus clair.

Les migrations climatiques et environnementales sont-elles un mal de l’époque ou une constante de l’histoire humaine ?

Serge Rabier : Notre ancêtre direct Homo sapiens est identifié au Moyen-Orient depuis 70 000 ans, suite à ce que l’on appelle la deuxième « sortie » d’Afrique. Il y a fort à penser que ces migrations sont liées aux changements climatiques « globaux ». Si la deuxième sortie d’Afrique peut s’expliquer par la sécheresse touchant l’est du continent, le passage du détroit de Bering, entre l’Asie et les Amériques il y a 35 000 ans, a été rendu possible par la baisse du niveau des océans lors de la dernière glaciation. Mais, à l’échelle des petites communautés de chasseurs-cueilleurs, le nomadisme s’explique au gré des variations plus localisées du climat et leur impact sur les mouvements des troupeaux de gibiers, sur les produits de la cueillette et sur les possibilités de trouver un habitat sûr. 

Plus tard, entre l’Antiquité tardive et le Moyen Âge, les « grandes invasions » (des Huns aux Mongols), qui ont marqué le déplacement de populations de l’Asie vers l’ouest et le sud de l’Europe, ont pu être en partie expliquées par des évolutions climatiques majeures (sécheresses, pénuries de pâturages, grands écarts de températures). Il n’en va pas de même pour des millions d’Européens et d’Africains qui migreront, plus ou moins de leur plein gré pour les premiers, ou violemment contraints pour les seconds, vers les Amériques entre les XVIe et XIXe siècles.


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À partir du XIXe siècle dominé par l’Europe, le paradigme économique de la mondialisation prend le pas sur le facteur climatique concernant les migrations. Cependant, le concept d’anthropocène remet à l’agenda les limites matérielles de notre modèle de développement. Ses conséquences pour le climat, l’environnement et la biodiversité (voir les travaux du Giec) montrent que l’articulation entre dégradation climatique et environnementale d’une part, et mouvements migratoires d’autre part, est un enjeu de plus en plus incontournable à court et moyen terme. Ainsi, au fur et à mesure de l’histoire humaine, il devient de plus en plus difficile d’isoler le facteur climatique ou environnemental dans les migrations, tant il est imbriqué avec d’autres déterminants tels que l’évolution des techniques de déplacements terrestres et maritimes, la soif ou la nécessité des expansions territoriales et la création d’empires, les religions, les guerres, l’esclavage, les colonisations, les transitions démographiques, les États, l’industrialisation, l’expansion du commerce, la mondialisation…


« Migrants », « réfugiés », « déplacés » climatiques ou environnementaux : qu'y a-t-il de si complexe dans la stabilisation d'une nomenclature internationale ?

Dans le cas de crises environnementales et/ou liées au changement climatique, la multiplication des terminologies est représentative de la difficulté plus globale à distinguer nettement les mobilités permanentes et temporaires, contraintes ou volontaires, de proximité ou lointaines, économiques et sécuritaires… D’ailleurs, la qualification juridique des personnes en mobilités climatiques et environnementales n’est pas encore fixée. « Réfugié », « migrant », « immigré », « déplacé » (on pourrait ajouter « étranger », « clandestin », « sans papier », « demandeur d’asile apatride »…) : les difficultés de définition persistent. Dans ce contexte, comment s’assurer d’un consensus dans le droit international ? Et sur quelles bases méthodologiques articuler ces notions avec les enjeux environnementaux et climatiques ?

Entre la notion de « personne migrante » telle que définie par l’Organisation internationale des migrations, celle de « personne réfugiée » fixée par la Convention de Genève de 1951 ou encore celle de « personne déplacée », les deux dernières notions semblent le mieux s’articuler avec les mobilités climatiques et/ou environnementales. Les personnes réfugiées/déplacées climatiques représentent une catégorie plus précise dont les causes de mobilité sont plus spécifiquement attribuées aux conséquences du mode de développement de l’anthropocène.


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Le changement climatique est un « multiplicateur de menaces » et exacerbe les tensions liées aux ressources agricoles, forestières et minières, à la nourriture, à l’utilisation de l’eau et de la terre ainsi qu’aux contextes économiques, politiques et aux conflits ethniques ou religieux… Il n’en reste pas moins compliqué de le traduire dans le code juridique, surtout si l’on se place dans un cadre international qui reste un lieu délicat et épuisant d’élaboration du droit.

Qui et combien sont les migrants climatiques et/ou environnementaux déjà contraints de parcourir la planète en quête d’un abri plus sûr ?

L’identification et la catégorisation des migrants pour raison climatique et/ou environnementale restent toujours délicates à mener tant les mobilités sont à la fois complexes et multiformes. Si dans un territoire donné, toutes les composantes de la population sont touchées par les conséquences du changement climatique, il existe des différences notables en fonction des lieux de résidence, ainsi que dans les capacités de résilience et d’adaptation dans des pays où existe un niveau élevé de pauvreté doublé de très fortes inégalités d'accès à l’eau, à l’alimentation et aux services sociaux de base (hygiène, santé, éducation).

Géographiquement, selon une étude Notre Dame Global Adaptation Initiative, 17 des 20 pays les plus vulnérables au changement climatique dans le monde sont situés sur le continent africain et neuf d’entre eux cumulent ces risques en étant les théâtres de conflits violents et/ou de crises sécuritaires fortes (Tchad, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Soudan, Soudan du Sud, Niger, Somalie, Mali et Burundi).

Migrations en Afrique en 2023
Source IDMC - Rapport mondial sur le déplacement 2023

 

Par ailleurs, selon Jeune Afrique, en 2022, les catastrophes climatiques ont provoqué 7,4 millions de déplacés internes supplémentaires en Afrique subsaharienne, presque autant que les conflits et les crises sécuritaires. Le total des déplacés (incluant les conflits, en violet sur la carte ci-dessous) pour le continent s’élève à plus de 16 millions de personnes.

Rapport IDMC (Internal Displacement Monitoring Centre) 2023
Source IDMC - Rapport mondial sur le déplacement 2023

 

L’Asie est également très impactée, avec plus de 12 autres millions de déplacés/migrants internes pour raisons climatiques enregistrés en 2022 dans le Sud et plus de 10 millions dans l’Est et la région Pacifique.

Que peuvent les acteurs du développement face à cette tendance qui semble installée et quel type d’action peut être déployé ?

Les migrations imputables au dérèglement climatique doivent être reliées à ses causes, notamment les émissions de gaz à effet de serre (GES). Agir efficacement revient donc pour les pays émetteurs à réduire ces GES (atténuation), à dédommager les pays impactés (pertes et dommages) en raison des investissements nécessaires face aux effets du changement climatique (sécheresses et inondations extrêmes, élévation des eaux littorales, incendies de forêts, variations des températures…) ; et aussi à financer les programmes d’adaptation et d'aide à la résilience des populations. Ensuite, il revient aux politiques de développement d’en assumer le règlement, ce qui ne semble pas encore acquis tant les débats restent vifs.


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Pourtant, dans le cas des migrations climatiques en particulier, ces accords permettraient d’organiser ces mobilités dans des conditions acceptables et efficaces d’accueil, d’accompagnement, d’intégration ou de retour. Les capacités statistiques sont primordiales pour rendre possible l’anticipation de ces mouvements et accompagner la fin du déplacement, la résolution des conflits, la consolidation de la paix, la réduction des risques liés aux catastrophes, la résilience climatique, la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté.

Les politiques de développement dans les pays d’intervention et leurs périphéries (zones d’accueil éloignées) doivent accompagner la lutte contre les situations de vulnérabilité. C’est-à-dire déployer des mécanismes appropriés à la reconnaissance de la situation de déplacé par de l’assistance juridique, travailler à la prévention des mécanismes de violence et de discrimination (tout particulièrement pour les femmes et les filles), mettre en place des ressources de soutien psychosocial mais aussi fournir des biens et services de base (alimentation, hygiène, santé, éducation, vie privée). Dans cette perspective, la prise en compte des droits humains devra permettre de traiter avec humanité et dignité les personnes qui ne pourraient ou ne souhaiteraient pas retourner dans leur pays ou région de départ, et ainsi leur fournir les informations relatives à l’obtention du statut de réfugié (conflits) ou des mécanismes de protection propres à la qualité de déplacé (événements climatiques).


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Dans une démarche plus territoriale, il peut s’agir de soutenir les autorités (locales ou nationales) et les communautés d’accueil dans leur capacité à répondre à la fois à leurs besoins propres et à ceux des personnes déplacées pour éviter les tensions, surtout si ces situations s’installent dans la durée. Les enjeux de migrations, qui seront inévitablement exacerbés par les changements climatiques, sont aussi d’ordre socio-anthropologique car des groupes sociaux, jusqu’alors peu en interconnexion, devront apprendre à « fabriquer » ensemble un lien social innovant, résiliant et coopératif.


L’ouvrage L’Économie africaine 2024 est sorti en janvier aux Éditions La Découverte

Écouter le podcast Grandes Lignes sur L'Économie africaine 2024

L’ouvrage L’Économie africaine 2023 est disponible en accès libre et gratuit