Alors que la mobilité des femmes en Afrique subsaharienne est importante, la recherche s’est encore peu intéressée à ce phénomène. Or, les mobilités féminines présentent des spécificités à la fois culturelles et socio-économiques, en particulier au regard des inégalités femmes-hommes et des situations de vulnérabilités qui en découlent (en matière de travail et de violences notamment). Elles démontrent aussi que les désirs d’émancipation transcendent les pesanteurs sociales séculaires.
Contexte

Les migrations sont un sujet majeur pour l'Afrique subsaharienne en raison de leur ampleur et de leurs impacts économiques, sociaux et politiques. La région connaît d'importants flux migratoires internes et transfrontaliers, souvent motivés par la pauvreté, les conflits et le changement climatique. Les diasporas, où qu’elles se trouvent, jouent un rôle clé en envoyant des fonds qui soutiennent les économies locales. Enfin, les migrations affectent aussi les dynamiques démographiques, influençant les politiques publiques. Par ailleurs, elles suscitent des tensions entre pays d’origine, de transit et de destination. La gestion de ces flux nécessite des coopérations régionales et internationales. Enfin, les migrations sont aussi un levier de développement lorsqu’elles sont bien encadrées. 

Il s’agit dans cette étude de rendre compte de la visibilité toujours plus grande des femmes dans la circulation migratoire et son orientation vers la sous-région ouest-africaine, à rebours de lieux communs courants soutenant que les flux migratoires africains sont principalement intercontinentaux et à dominante masculine. 

Objectifs

L’étude a visé à mieux comprendre les déterminants de ces mobilités transfrontalières féminines : quel est le poids des traditions et des ancrages historiques, en particulier la colonisation ? Ces mobilités sont-elles un phénomène nouveau ? Que dit-il des transformations contemporaines des sociétés? Quels sont les risques qu’elles représentent et les solutions pour les prévenir ? Quelles mesures de protection pour les femmes ? Quels outils et structures appropriés d’accompagnement ?

De plus, l’étude a permis de dessiner des perspectives sociales, économiques et juridiques qui alimenteront les réflexions de politiques publiques (marché du travail, politiques migratoires) en lien avec l’agenda des États et de l’Union africaine affirmant la promotion et le respect des droits humains ainsi que l’émancipation économique des femmes.

Méthode

La recherche menée s’appuie sur deux enquêtes conduites par des universitaires de disciplines complémentaires (géographes, démographes, sociologues, juristes, économistes) dans neuf pays d’Afrique de l’Ouest : le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Sénégal. 

Un questionnaire quantitatif a permis de recueillir les réponses de 2700 personnes. Dans chaque pays, les personnes interrogées ont été choisies en fonction de l’importance numérique des migrants et migrantes internationaux du dernier recensement. Les résultats obtenus ont été consignés dans une base de données sous format SPSS (accessible au public académique), notamment pour l’analyse de la situation d’ensemble. Les zones d’enquête sont essentiellement des grandes villes qui concentrent l’essentiel des activités économiques, même si les espaces ruraux peuvent être intéressants à investir en raison des activités agricoles ou minières qui attirent les migrants et les migrantes.

Un questionnaire qualitatif recouvre des entretiens en profondeur avec dix migrantes par pays d’enquête. Le corpus recueilli (90 entretiens) a permis de renseigner des questions centrales de la mobilité féminine, et notamment la prise de décision d’émigrer, la vulnérabilité des migrantes et les potentialités qu’offre la migration internationale en matière d’autonomisation éducative, économique et sociale.

Résultats

L’étude a permis de :

  • Dresser un état des lieux des connaissances dans 9 pays (revue de littérature et documentaire/baseline documentaire) afin de connaître à ce jour la situation des migrations féminines (immigration et émigration) dans la sous-région (données statistiques ; cartographie des flux et stocks ; dimension historique du phénomène ; listes des travaux/références pertinentes ; questions non documentées par la recherche) ;
  • Produire des données originales en combinant les enquêtes quantitatives et les entretiens qualitatifs.

A partir des neuf rapports pays, un document de synthèse Afrique de l’Ouest a été produit. Il n’est pas une juxtaposition des neuf rapports qui, selon les profils des experts et des expertes, mettent l’accent sur une dimension particulière de la thématique des mobilités (historique, anthropologique, économique, sociologique et juridique) : il s’agit d’un format original analysant les idées contenues dans la base de données globale en faisant fi des frontières, c’est-à-dire en se plaçant dans une posture d’analyse globale des mobilités féminines transfrontalières. Des thèmes phares ont été développés par les chercheurs du projet ou d'autres spécialistes et des perspectives/recommandations en matière de politiques publiques sont présentées. 

    Enseignements

    La base de données constituée révèle l’importance statistique du fait migratoire transfrontalier féminin et sa vocation catalytique d’émancipation pour les femmes migrantes : 

    • Les femmes représentent 47% des personnes migrantes, ce qui se double d’une autre caractéristique, celle de l’âge : plus de 60% des migrantes ont moins de 35 ans. 
    • Le principal facteur des mobilités féminines reste le regroupement familial (39%), puis la recherche d’emploi (30%), les guerres civiles et les crises sécuritaires (14%) et enfin les études (10%).

    L’émancipation des femmes prend plusieurs formes le plus souvent complémentaires : indépendance économique, amélioration du statut personnel par l’éducation, moindre tutelle masculine.

    Cela amène à conclure à la nécessité de promouvoir les conditions de la libre circulation en tant que puissant levier d’une politique migratoire favorable à leur autonomisation. 

    Tout en appelant à une prise en compte davantage proactive de la dimension féminine des mobilités sous-régionales dans les différentes politiques publiques nationales, le papier de recherche met l’accent sur un préalable : la nécessité de produire de façon collaborative des données scientifiques afin de pouvoir mobiliser les savoirs nécessaires à la prise de décision pour des politiques publiques efficaces. Dans le même temps, il recommande la consolidation et l’intensification de la coopération sous-régionale sur les questions migratoires, et plus particulièrement en ce qui concerne la migration féminine encore sous influence d’interdits et de contraintes liées à des représentations traditionnelles.  
     


    En savoir plus

     

    01/10/2020
    Date de début du projet
    15/11/2021
    Date de fin du projet
    1 an et 1 mois
    Durée du programme
    Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad
    Localisation
    38 500
    EUR
    Montant du financement
    Achevé
    État

    Contacts :

    • Professeur Papa Demba Fall, docteur d’Etat ès Lettres (géographie), directeur de recherche à l’IFAN, ancien directeur du département des Sciences humaines de l’UCAD (2004-2009) et directeur exécutif du Réseau d’étude des migrations internationales africaines
    • Serge Rabier, chargé de recherche à l'AFD