
Contexte
Depuis la parution du rapport Brundtland (1987) présentant les trois piliers du développement durable jusqu’à l’adoption de l’Agenda 2030 avec ses 17 Objectifs de développement durable (2015), la communauté du développement s’est montrée de plus en plus concernée par l’augmentations des inégalités, qu’elles soient géographiques (Nord/Sud), sociales (riches/pauvres), démographiques (générations présentes/futures) ou encore anthropologiques (hommes/femmes) et environnementales.
Aujourd’hui, les différents acteurs du développement affirment l’urgence et la légitimité d’une nouvelle perspective pour le développement, associant explicitement la réduction des inégalités – notamment femmes-hommes (ODD 5) – et la lutte contre les changements climatiques (ODD 13). Ainsi, depuis 2015, les banques multilatérales, régionales ou bilatérales de développement, les agences des Nations unies, les organisations de la société civile, les médias et le monde académique ont traduit cette volonté dans leurs stratégies, leurs discours et leurs interventions (financements, plaidoyer, recherche). La loi du 4 août 2021 N° 2021-1031, votée à l’unanimité, fait « de la lutte contre la pauvreté et de la préservation des biens publics mondiaux (en particulier la santé, le climat, la biodiversité, l’éducation et l’égalité entre les femmes et les hommes) les priorités de la politique de développement ». Cela se traduit au niveau de l’AFD dans les engagements 100% Lien social et 100% Accord de Paris de sa stratégie.
Il apparaît dès lors intéressant de regarder de plus près comment ces différents acteurs pensent et articulent les agendas « égalité femmes-hommes » et « climat » aux dynamiques et spécificités propres, de façon à identifier les principaux narratifs utilisés.
Objectif
L'objectif principal était d’identifier et d'analyser les discours institutionnels qui lient changement climatique et égalité femmes-hommes, émis par divers acteurs de l’aide au développement : organisations transnationales (Union européenne) et internationales (agences onusiennes), bailleurs et agences multilatérales et bilatérales de développement, organisations de la société civile, communautés épistémiques (telles que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat).
Ce projet de recherche, confié à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), visait plus particulièrement à :
- Réaliser une cartographie par institution et par thématique ;
- Réaliser une analyse de ces discours ;
- Présenter les cadrages cognitifs et discursifs et leur évolution depuis 10 ans ;
- Eclairer le positionnement de l’AFD à l’intersection de ces enjeux.
Méthode
Le laboratoire PRESAGE (OFCE/Sciences Po Paris) a été chargé de réaliser l’analyse des discours de différentes catégories d’acteurs sur un ensemble assez large de productions documentaires : 800 documents en français, en anglais et en espagnol de 54 structures ont été passés au filtre de 150 mots-clés et de champs sémantiques associés à la lutte contre le changement climatique et à l’égalité femmes-hommes, pour mieux les cerner.
Pour cela, l’équipe de recherche a utilisé comme outil l’analyse critique des cadres de politiques publiques (Critical Frame Analysis – CFA). La CFA est la méthodologie la plus avancée pour l’analyse des discours de politique publique autour des enjeux d’égalité femmes-hommes et de leur diffusion. Elle se fonde sur une analyse cognitive, discursive et sociologique des discours de politique publique, qui met en exergue les différentes logiques et interprétations d’enjeux tels que l’égalité de genre, la lutte contre les effets du changement climatique ou la combinaison des deux.
Résultats
La recherche a permis de réaliser :
- Un état de l’art présentant les principaux déterminants historiques et discursifs des cadres interprétatifs utilisés pour articuler genre et climat,
- Une cartographie des principaux acteurs (dont les textes de référence utilisés) sur ces enjeux ;
- Une analyse des discours articulant égalité femmes-hommes et changement climatique.
Le projet a débouché sur la publication d'un papier de recherche détaillant les partenaires de recherche, la méthodologie utilisée, les différents supports analysés (discours, narratifs, stratégies, rapports d’activité, brochures diverses…) ainsi que des recommandations pour intégrer efficacement ces deux dimensions dans les politiques de développement.
En produisant une seconde publication dans la collection Questions de développement ainsi qu’une tribune dans le média The Conversation, cette étude a contribué à enrichir les travaux académiques sur ces sujets. Ces résultats éclairent également les stratégies de l'AFD et d'autres acteurs pour promouvoir une action climatique inclusive et équitable.
Télécharger les publications :
- « Quels cadres interprétatifs autour des enjeux genre et climat : enseignements d'une analyse bibliométrique » (Papiers de recherche n°255, Editions Agence française de développement, juillet 2022)
- « Genre et climat : quelle articulation entre ces problématiques pour les organisations internationales ? » (Questions de développement n°54, Editions Agence française de développement, avril 2022)
A lire dans The Conversation : Quand le genre rencontre le climat, de nouvelles perspectives pour le développement
Enseignements
Huit narratifs ont émergé, illustrant des approches différentes de l'articulation entre genre et climat :
- Le prisme des vulnérabilités comme grille d'analyse et d’intervention des actions climatiques d'urgence ;
- L’approche de l’économie intelligente (smart economics) comme opportunité de genrer l’agenda climatique ;
- Les outils d’intégration de l’égalité femmes-hommes dans l'agenda du changement climatique ;
- L’autonomisation des femmes et les filles dans une perspective d'adaptation au climat ;
- L’intégration de l’égalité femmes-hommes pour une action climatique transformatrice ;
- La dimension intersectionnelle des inégalités et des discriminations dans l’articulation de l'égalité femmes-hommes et des enjeux climatiques ;
- La dimension éco-féministe : les femmes, gardiennes de la Terre mère ;
- Décoloniser l’égalité femmes-hommes et l’action climatique.
Ces cadres ont été formalisés en fonction de leur fréquence, des catégories d’acteurs qui les utilisent et de leur chronologie :
- Ils peuvent être soit déjà installés dans la durée, soit en émergence ;
- Ils sont plus ou moins utilisés selon la catégorie d’acteurs et au sein même de chaque catégorie ;
- Ils témoignent de visées plus ou moins ambitieuses de changement (visées adaptatives/transformatives) ;
- Ils ne sont pas figés et présentent des potentialités d’hybridation.
Chaque narratif fait ressortir des priorités et des préférences politiques, économiques ou sociales propres, voire divergentes. Ils présentent tous des avantages et des inconvénients.
Ce travail sert à alimenter les réflexions sur les orientations stratégiques de l’AFD et au-delà celles des principaux acteurs de la communauté du développement sur l’évolution de leurs positionnements sur l’imbrication de ces deux thématiques.
A lire aussi sur afd.fr : Quand le genre rencontre le climat, de nouvelles perspectives pour le développement
Contacts :
- Hélène Périvier, économiste et directrice du Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE) de l’OFCE-Sciences Po
- Maxime Forest, politiste, chercheur associé à l’OFCE et maître de conférence à Sciences Po
- Serge Rabier, chargé de recherche à l'AFD

Contexte
522 : c’est le nombre de banques publiques de développement recensées à ce jour (Xu et al, 2021) et qui composent la coalition mondiale Finance in Common. Responsables d’environ 10% de l’investissement annuel mondial, ces institutions occupent une place essentielle dans l’architecture financière internationale. Détentrices d’un mandat et d’une responsabilité publique, elles mettent en œuvre des financements dans les secteurs où la rentabilité sociale et/ou environnementale est supérieure à la rentabilité privée, tels que la santé, l’éducation et la lutte contre le dérèglement climatique. Ainsi, elles sont appelées à jouer un rôle déterminant dans l’atteinte de l’Agenda 2030.
Certaines banques publiques de développement (BPD) analysent leur alignement avec les ODD, mais l’emploi de méthodes disparates ne permet pas d’obtenir des résultats fiables et comparables. Dans le même temps, la majorité des BPD publient chaque année un rapport d’activité et de développement durable. Ces documents, accessibles en ligne, sont une mine d’informations aujourd’hui peu exploitée et sur lesquels nous nous appuyons dans notre projet.
Objectif
Ce projet de recherche mené par l’AFD vise à tester le potentiel des technologies d’intelligence artificielle (IA) au bénéfice du développement durable. Il a abouti à la création du Prospecteur ODD, outil qui propose une méthode unifiée et pertinente pour cartographier les engagements extra-financiers des banques publiques de développement. Il permet de quantifier le degré d’importance accordé à chacun des 17 objectifs de développement durable dans la documentation officielle des BPD.
L’analyse a été menée sur une période couvrant cinq années (2016-2020) et 237 institutions. Ainsi, il est possible de dresser un panorama de l’alignement ODD par banque, géographies, tailles de bilan, mandats, niveaux de développement…
A lire : L'intelligence artificielle au service des ODD
Méthode
Afin d’extraire l’information contenue dans les rapports annuels des banques publiques de développement, le Prospecteur ODD applique une méthode d’intelligence artificielle spécialisée dans l’analyse du langage (Natural Language Processing). Cette technique innovante est plus précise qu’une analyse par mots clés, car elle permet à l’outil de reconnaître le contexte des phrases.
Pour cela, le Prospecteur ODD repose sur une base d’apprentissage, qui lui permet d’identifier lorsqu’un texte mentionne les ODD et de déterminer de quel ODD il s’agit. La base d’apprentissage est composée de plus de 8500 textes relatifs à l’Agenda 2030, issus principalement de documents des Nations unies, de rapports gouvernementaux et d’ONG. Spécialisé dans la reconnaissance des ODD, le Prospecteur partitionne chaque rapport annuel en paragraphes d’une dizaine de lignes et détermine s’il y est fait mention d’un, plusieurs ou aucun ODD.
Résultats
Les résultats permettent d’établir une cartographie détaillée du positionnement des BPD par rapport à l'Agenda 2030 et ses 17 ODD :
- Le discours stratégique et opérationnel des BPD est principalement structuré autour des ODD, tels que l’ODD 8 « Travail décent et croissance économique » et l’ODD 9 « Innovation et infrastructure » ;
- L’ODD 13 « Action climatique » est de plus en plus pris en compte par l’ensemble de l’échantillon, et nous constatons une corrélation positive entre la taille du bilan des BPD et leur prise en compte des ODD associés à la protection de l’environnement ;
- La biodiversité constitue une part non négligeable du narratif porté par les BPD ;
- Les ODD sociaux représentent 21 % du narratif des rapports annuels des BPD. Cependant, les ODD transversaux tels que l’égalité des sexes, la réduction des inégalités et l’éradication de la pauvreté représentent une part mineure du discours des BPD ;
- Les BPD semblables en termes de taille, de mandat et de géographie ont tendance à avoir le même discours autour des ODD.
Analyser un document avec le Prospecteur ODD : sdgprospector.org
Enseignements
Les techniques d’intelligence artificielle utilisées permettent de faire émerger des données nouvelles, à la fois pour la recherche et pour la mise en œuvre opérationnelle des ODD. D’autres projets innovants suivis par l’AFD contribuent à cette dynamique, à l’image du Challenge IA-Biodiv.
Lire le papier de recherche (en anglais) : « The proof is in the pudding: revealing the SDGs with artificial intelligence »
Contacts :
- Régis Marodon, conseiller senior « finance durable » à l’AFD
- Jean-Baptiste Jacouton, chargé de recherche à l'AFD