La Grande muraille verte est souvent perçue comme un simple « mur d’arbres » pour lutter contre la désertification du Sahel. Mais derrière cette image symbolique, que recouvre exactement cette initiative ? Quels en sont les objectifs concrets en matière de restauration des terres, de séquestration de carbone et de développement rural ?
Sandra Rullière : L’initiative de la Grande muraille verte (GMV) est une initiative phare de l’Union africaine et de la Convention des Nations unies sur la Lutte contre la désertification (UNCCD), au cœur des discussions de la COP16 qui s’est ouverte ce lundi 2 décembre à Riyad.
Initialement conçue comme la plantation d’une bande continue d’arbres d’une quinzaine de kilomètres de large, traversant le continent africain d’ouest en est, de Dakar à Djibouti (d’où cette image du « mur d’arbres »), l’approche de la GMV est à présent plus vaste et intégrée : elle promeut une mosaïque d’initiatives de gestion durable des terres et des écosystèmes et elle soutient la diversification et la résilience de la production agro-sylvo-pastorale en zone sahélienne.
À l’horizon 2030, les objectifs de la GMV sont de restaurer 100 millions d’hectares de terres dégradées, de séquestrer 250 millions de tonnes de carbone et de créer 10 millions d’emplois, de manière à améliorer la sécurité alimentaire de 20 millions de personnes, de contribuer à l’amélioration des conditions de vie de millions de personnes vivant au Sahel, et de promouvoir, auprès de 10 millions d’exploitants agricoles familiaux, des pratiques agricoles résilientes au changement climatique.
La GMV est donc une initiative africaine ambitieuse de développement des territoires ruraux sahéliens et de transformation de l’agriculture intégrant pleinement les enjeux nature.
Lire aussi : Le groupe AFD et la Grande muraille verte au sud du Sahara
Après seize ans de mise en œuvre, la Grande muraille verte a-t-elle tenu ses promesses ? Quels progrès réels ont été réalisés sur le terrain ? Les objectifs fixés pour 2030 – comme la restauration de 100 millions d’hectares – sont-ils encore atteignables ?
Il est aujourd’hui trop tôt pour faire le bilan de l’initiative GMV dont les objectifs sont fixés à 2030.
Les résultats étaient mitigés à mi-parcours, mais une dynamique nouvelle d’accélération de la mise en œuvre de l’initiative GMV a été lancée lors du One Planet Summit de janvier 2021, sous l’impulsion de la France. Ce sommet a permis de mobiliser l’ensemble des acteurs et des partenaires autour d’une stratégie d’accélération de l’initiative, de renforcer la mobilisation financière en faveur de la GMV, avec 19,6 milliards de dollars annoncés pour la période 2021-2025 et, enfin, de mettre en place une plateforme de coordination multi-acteurs pour catalyser les efforts de l’ensemble des partenaires et suivre les engagements financiers et les résultats atteints.
L’accélération de l’initiative de la GMV constitue une opportunité pour le développement des territoires ruraux sahéliens, la biodiversité, le climat et la stabilité au Sahel. Le groupe AFD y est pleinement engagé. Sur la période 2021-2024, près de 501 millions d'euros ont été engagés par l’AFD pour soutenir l’accélération de l’initiative de la GMV dans les 11 pays. Cela représente plus de 80 % des 600 millions d'euros annoncés pour la période 2021-2025 lors du One Planet Summit de 2021.
En 2023, les projets GMV en cours d’exécution ou clôturés financés par l’AFD dans les 11 pays ont permis à 1,5 million de personnes en situation de vulnérabilité d’être appuyées ; par ailleurs 906 000 exploitations agricoles familiales ont vu leurs performances économiques améliorées ou ont réuni les conditions pour y parvenir ; 8 millions d’hectares de terres ont bénéficié de programmes de gestion durable des ressources et/ou du foncier ; 607 600 exploitations agricoles familiales ont été accompagnées dans leur conversion vers des systèmes agroécologiques.
Comment l’AFD structure-t-elle son intervention pour maximiser l’impact des projets financés sur le terrain ?
L’AFD intervient à travers une approche concertée et partenariale pour identifier et préparer, avec ses partenaires, les projets financés en cherchant à maximiser l’impact sur le terrain au bénéfice des populations sahéliennes. Les projets financés soutiennent ainsi des ministères sectoriels (agriculture, élevage, environnement…) dans la mise en œuvre de leur politique et stratégie sectorielle convergente avec les ambitions de la GMV, mais également des collectivités territoriales, des organisations de la société civile, des organisations professionnelles agricoles et la recherche.
Au-delà des financements français, nous avons également cherché à mobiliser nos partenaires, comme l’Union européenne ou le Fonds international de développement agricole (Fida), pour financer ensemble des projets ambitieux.
Infographie : Grande muraille verte au Sahel : tout comprendre à l'initiative
À ce titre, l’AFD a alloué un nouveau financement en prêt de 75 millions d'euros au bénéfice du Nigéria pour cofinancer, avec le Fida, un programme sur les filières agricoles dans le nord du pays. Ce projet d’un montant total de 145 millions d'euros a pour objectif d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle et le revenu des ménages dans neuf États du nord du Nigéria grâce à un développement inclusif et durable des filières agricoles, vecteurs de la transformation rurale.
Pour atteindre les ambitions fixées d’ici 2030, il sera indispensable de décloisonner l’initiative de la GMV, de mobiliser l’ensemble des acteurs impliqués dans le développement des territoires ruraux sahéliens et de mettre les populations locales au cœur de la définition et de la mise en œuvre des stratégies de développement de ces territoires et de la gouvernance des terres et des ressources naturelles.
La Grande muraille verte pourrait-elle devenir une initiative continentale ? Quels seraient les freins, notamment financiers et institutionnels, mais aussi les opportunités stratégiques pour étendre ce modèle à d’autres régions vulnérables d’Afrique ?
Au-delà des 11 pays de la GMV, nous devons collectivement renforcer notre mobilisation pour soutenir, partout en Afrique, une transition et une intensification agroécologique permettant de répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels des populations, y compris les plus vulnérables, de créer de l’emploi et de la valeur ajoutée sur les territoires ruraux, d’éviter la dégradation des terres et de préserver les écosystèmes. Des politiques publiques ambitieuses et des investissements publics conséquents, entre autres via les banques publiques agricoles, sont pour cela nécessaires.
Le groupe AFD est déjà mobilisé au-delà des pays de la GMV pour soutenir l’intégration des enjeux nature dans les filières productives et améliorer la gouvernance des terres et des ressources agro-sylvo-pastorales au bénéfice des économies locales et pour des territoires ruraux apaisés. C’est en ce sens que nous avons récemment apporté notre soutien à la déclaration de haut niveau Nouakchott+10 sur le développement des élevages et la sécurisation des systèmes pastoraux en Afrique de l’Ouest et au Sahel.