ONU Habitat organise son Assemblée générale du 5 au 9 juin à Nairobi. Quels sont les enjeux de développement actuels dans le domaine du logement ?
Audrey Guiral-Naepels : Tout le monde s’accorde à dire que le logement est un secteur clé dans l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD), en particulier sur le plan du climat et des inégalités. Il est par exemple l’un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Mais une fois qu’on a dit ça, on constate que les changements prennent du temps, parce que les cadres réglementaires nationaux sont souvent insuffisants ou que les acteurs privés ne sont pas suffisamment structurés. Au final, c’est un thème qui, depuis quelques années, était un peu oublié de la scène internationale.
La pandémie de Covid-19 a remis ce sujet en avant. Pour se confiner, il fallait être dans un logement et pouvoir y disposer d’eau pour assurer les règles d’hygiène minimum. De nombreux États ont alors pris des mesures pour aider les gens à rester dans leur logement, avec la suspension des procédures d’expulsion ou de paiement de loyer pour celles et ceux qui ne pouvaient plus travailler. On a alors vu à quel point c’était un élément clé dans la stabilisation des trajectoires de vie.
Le cœur historique d’intervention d’ONU Habitat porte sur l’amélioration des quartiers précaires et le développement urbain. Deux sujets extrêmement importants en Afrique. On parle beaucoup du concept de villes durables dans les pays du Sud, car c’est en ville que l’on observe une croissance démographique rapide tandis que l’offre de logements décents et de services publics ne suit pas toujours. Au sein de la division Développement urbain de l’AFD, nous plaidons au quotidien pour un développement urbain durable et planifié qui intègre le logement dans des quartiers dotés d’équipements publics, desservis par des réseaux de transport et situés à proximité des emplois.
C'est justement ce que la France et l'AFD défendront lors de cette assemblée générale…
A. G.-N. : Oui, la France co-parraine une résolution présentée par le Kenya qui vise à rappeler l’importance de l’accès à un logement abordable et durable. Par exemple, c’est une chose d’améliorer les conditions de vie dans les quartiers informels, mais il faut aussi pouvoir produire en parallèle une offre d’habitat formel adaptée. Cette résolution propose de mettre en place un groupe de travail intergouvernemental pour accompagner ONU Habitat dans son mandat sur ce sujet, à travers la collecte de données et la diffusion d’analyses et de recommandations. On parle d’un déficit mondial de 330 millions d’unités de logement, mais que signifie vraiment ce chiffre ? Le logement n’est pas qu’une question quantitative : il faut comprendre les marchés locaux de l’immobilier, le cours des matériaux, les profils et les besoins des ménages. Il y a besoin d’énormément de données pour structurer les politiques publiques.
La France portera également en son nom une résolution concernant les smart cities. L’objet est notamment de promouvoir la rédaction de bonnes pratiques relatives à leur conception.
L’AFD sera aussi représentée à cette assemblée. Nous y signerons un protocole d’accord qui donnera un cadre à notre collaboration avec ONU Habitat dans le domaine du logement. Il s’agit d’échanger nos expertises et nos expériences avec ONU Habitat, de les associer à notre initiative sur le logement durable et de nous associer à leurs études et leurs événements, tout en soutenant leur plaidoyer en faveur du logement durable. Nous unissons nos forces.
Quelle est aujourd’hui l’action de l’AFD en matière de logement ?
A. G.-N. : Le logement est l’un de nos secteurs historiques d’intervention. Sur les dix dernières années, nous avons engagé 2 milliards d’euros dans ce secteur, dont 1 milliard dans les États étrangers. Nous travaillons sur la structuration des politiques publiques nationales, leur développement à l’échelle des villes, l’accompagnement des banques de l’habitat, le soutien aux opérateurs privés de construction et aux ONG du secteur, l'efficacité énergétique des bâtiments, le logement étudiant… C'est un secteur très transversal qui mobilise chez nous de nombreuses compétences.
Il y a un an et demi, nous avons lancé la Sustainable Housing Initiative (SHI), ou initiative pour des politiques publiques de logement durable. Beaucoup d’États veulent se lancer dans des politiques ambitieuses en faveur du logement mais se heurtent aux difficultés d’investissement, de maîtrise du foncier ou de prise en compte des questions d’efficacité énergétique. La SHI est une facilité qui vient épauler les États et les collectivités territoriales dans le lancement d’études et d’analyses, par exemple sur les besoins, le marché de l’immobilier, le cadre réglementaire et la manière dont celui-ci peut évoluer pour enclencher une dynamique de production de logements abordables. C’est une assistance technique qui permet d’accompagner les différents acteurs de la chaîne du logement, nationaux et locaux, publics ou privés. La SHI a été lancée par l’AFD mais elle s’inscrit dans une dynamique partenariale : ONG, chercheurs, collectivités françaises, bailleurs internationaux sont associés dans un comité qui nous permet d’alimenter les réflexions.
Cette initiative est actuellement déployée dans huit pays, dont le Kenya, l’Ouganda et le Rwanda. À Kigali (Rwanda), nous accompagnons la ville dans l’amélioration des quartiers précaires à l’aide d’un prêt et d’une subvention de l’Union européenne. Soucieuse d’éviter que ses habitants soient évincés des quartiers rénovés vers de nouveaux bidonvilles, la ville souhaite y travailler sur la question du logement abordable. Pour y parvenir, via la SHI, nous l’appuyons pour creuser deux pistes : l’auto-amélioration et l’agrandissement des logements existants d’une part, la construction de nouvelles unités de logements abordables d’autre part. La ville cherche ainsi à inciter les propriétaires privés à valoriser leurs biens tout en s’engageant à loger des populations à faibles ressources. En parallèle, elle souhaite soutenir la construction de logements neufs de qualité pour ces personnes. Nous sommes encore en phase d’études et le projet ne démarrera pas avant 2024. Mais c’est déjà l’un des plus innovants que nous ayons menés dans ce domaine !