Le FUM aura lieu du 4 au 8 novembre 2024 au Caire. Quels sont les enjeux de cet événement ?
Audrey Guiral-Naepels : Il s’agit du premier Forum urbain mondial à se tenir en Afrique depuis plus de vingt ans, ce qui attire de nombreux partenaires de la région et va permettre de mettre en lumière ce sujet prépondérant pour le continent africain, ainsi que le rôle crucial des villes dans la transition climatique. En effet, deux tiers des émissions de gaz à effet de serre et des consommations énergétiques proviennent des villes, qui sont donc particulièrement vulnérables au changement climatique. En Afrique, cette vulnérabilité climatique est exacerbée par des facteurs sociaux, notamment le grand nombre de quartiers informels où les habitants s’installent souvent dans des zones à risque, les rendant ainsi particulièrement exposés.
Cependant, les villes abritent également de nombreuses solutions pour lutter contre le changement climatique et s’y adapter. Par exemple, la végétalisation urbaine, comme la plantation d’arbres, peut directement contribuer à la réduction des températures. À Tamale, au Ghana, nous préparons avec la ville un programme d’investissement permettant son adaptation au changement climatique, qui vise à diminuer la vulnérabilité aux inondations. L’AFD s’engage également à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Au Togo, à Lomé, nous accompagnons depuis plus de dix ans toute la stratégie de gestion et de traitement des déchets solides, responsables d’émissions de méthane. Nous travaillons aussi à limiter la congestion urbaine, qui contribue à l’augmentation du CO2. Ce forum est donc une occasion pour l’AFD de présenter ces solutions, notamment à travers le projet Cities and Climate in Africa (Ciclia), qui aide les villes à développer leurs projets d’aménagement et d’investissement à co-bénéfice climat. À ce jour, 30 villes ont bénéficié de cette initiative.
Quel thème l’AFD souhaite-t-elle aborder durant le forum ?
A. G.-N. : Ce forum sera l’occasion de participer à la mobilisation sur la question de l’accès au logement : il existe aujourd’hui un déficit de plus de 330 millions de logements dans le monde, sans compter le nombre important d’habitations nécessitant des rénovations, surtout sur le plan énergétique. Le secteur de la construction, l’un des plus émissifs, doit contribuer aux efforts d’atténuation des émissions d’ici 2050.
Il est essentiel de bien comprendre les besoins locaux, tels que la localisation des logements, leur type et les capacités financières des ménages, afin de définir des politiques de l’habitat adaptées. L’Afrique fait face à un autre défi : il y a très peu de filières de construction sur le continent, ce qui se traduit par une offre formelle très limitée. Au Cameroun et au Nigéria, moins de 10 % des logements produits sont formels.
L’AFD appelle à une mobilisation mondiale et collective autour de la question du logement. L’objectif est de renforcer la confiance entre les acteurs pour permettre au secteur privé de jouer son rôle, tout en définissant des politiques publiques solides, des cadres réglementaires clairs et des schémas de financement robustes.
À l’échelle mondiale, il est également crucial de favoriser l’accès au foncier. Les terrains doivent être bien situés, près des centres d’activité, pour éviter de créer des quartiers monofonctionnels où il n’y aurait que des logements loin des emplois et des services, ce qui pourrait entraîner un abandon de ces quartiers par les habitants, qui retourneraient vers des logements informels ; de telles situations ont déjà été observées en Amérique latine.
Quelle est aujourd’hui l’action de l’AFD en matière de logement ?
A. G.-N. : Le logement est l’un de nos secteurs historiques d’intervention. Sur les dix dernières années, nous avons engagé 2 milliards d’euros dans ce secteur, dont 1 milliard dans les États étrangers. Nous travaillons sur la structuration des politiques publiques nationales, leur développement à l’échelle des villes, l’accompagnement des banques de l’habitat, le soutien aux opérateurs privés de construction et aux ONG du secteur, l'efficacité énergétique des bâtiments, le logement étudiant… C'est un secteur très transversal qui mobilise chez nous de nombreuses compétences.
Il y a deux ans, nous avons lancé la Sustainable Housing Initiative (SHI), ou initiative pour des politiques publiques de logement durable. Beaucoup d’États veulent se lancer dans des politiques ambitieuses en faveur du logement mais se heurtent aux difficultés d’investissement, de maîtrise du foncier ou de prise en compte des questions d’efficacité énergétique. La SHI est une facilité qui vient épauler les États et les collectivités territoriales dans le lancement d’études et d’analyses, par exemple sur les besoins, le marché de l’immobilier, le cadre réglementaire et la manière dont celui-ci peut évoluer pour enclencher une dynamique de production de logements abordables. C’est une assistance technique qui permet d’accompagner les différents acteurs de la chaîne du logement, nationaux et locaux, publics ou privés. La SHI a été lancée par l’AFD mais elle s’inscrit dans une dynamique partenariale : ONG, chercheurs, collectivités françaises, bailleurs internationaux sont associés dans un comité qui nous permet d’alimenter les réflexions.
Cette initiative est actuellement déployée dans huit pays, dont le Kenya, l’Ouganda et le Rwanda. À Kigali (Rwanda), nous accompagnons la ville dans l’amélioration des quartiers précaires à l’aide d’un prêt et d’une subvention de l’Union européenne. Soucieuse d’éviter que ses habitants soient évincés des quartiers rénovés vers de nouveaux bidonvilles, la ville souhaite y travailler sur la question du logement abordable. Pour y parvenir, via la SHI, nous l’appuyons pour creuser deux pistes : l’auto-amélioration et l’agrandissement des logements existants d’une part, la construction de nouvelles unités de logements abordables d’autre part. La ville cherche ainsi à inciter les propriétaires privés à valoriser leurs biens tout en s’engageant à loger des populations à faibles ressources. En parallèle, elle souhaite soutenir la construction de logements neufs de qualité pour ces personnes. Nous sommes encore en phase d’études et le projet ne démarrera pas avant fin 2024. Mais c’est déjà l’un des plus innovants que nous ayons menés dans ce domaine !